Deep down the rabbit hole. || Ft. T0-8Y

Yes, I'm doing it. - Le miroir abîmé reflète ma pauvre face. - Yes, Jiks. - Nu, fenêtre ouverte, je laisse l'air frais lécher ma peau. - Oh my fucks... I KNOW! - À l'autre bout de la ligne, la voix nasillarde m'explique pour le sixième fois comment appliquer une malheureuse crème et, contorsionné devant mon miroir, je fais ce que je peux, seul. La chute dans le conduit d'évacuation des ordures avec T0 s'est déroulée plus d'une semaine auparavant et mon postérieur ne s'en est toujours pas remis. La crème que Jiks m'a donné, après une séance particulièrement douloureuse de kinésithérapie alien, est supposée calmer la douleur, effacer les ecchymoses et remettre tout ça en place. Rien de cassé, certes, mais la chute n'a pas été bonne pour autant. Et mon dos, dans tout ça? La guérison a été bien plus facile et rapide. Jiks a été très utile pour ça, à s'occuper de changer le pansement régulièrement. Ça a suffit à diminuer de moitié l'état de la brûlure au point actuel, c'est à dire une sensibilité secondaire, même si la peau est encore fragile. La marque rouge, elle, ne partira probablement pas avant des mois. Peut-être plus. Il est certain que cette mission n'a pas été de tout repos, mais elle est terminée.

Il est 11h du matin passée et j'ai décidé de prendre ma matinée. Parce qu'en tant qu'indépendant, je peux me le permettre. Et aussi parce que j'étais crevé. Comme beaucoup sur Orophée, je vis dans un minuscule appartement des niveaux intermédiaire. Un rectangle, une seule pièce. Une porte d'un côté, une fenêtre coulissante de l'autre donnant sur une rue passante et polluée. Polluée comme ailleurs, certes, mais polluée. Le rectangle n'a rien de bien extraordinaire. L'angle gauche de la porte est un petit coin cuisine. Il s'achève d'un côté par la porte et de l'autre par un bloc fermé d'une paroi coulissante donnant sur une douche. La paroi extérieure de la douche donne sur une cuvette suspendue pouvant être repliée dans le mur. L'angle droit du fond est occupé par un lit une place défait, en face du quel se trouve le miroir devant lequel je me crème les fesses. Sous le lit, un large tiroir contient quelques affaires. Le reste est vide. Un écran est suspendu à la paroi de la douche. Petite télé que je peux regarder depuis le lit.

La pièce est impossible à meubler ou agrémenter, on manquerait immédiatement de place. Elle est de fait assez impersonnelle, mais honnêtement, j'y suis trop peu pour m'en soucier. J'y dors, de temps en temps, quand je ne suis pas en vadrouille ou en livraison. Ou entrain de me faire torturer par Jiks l’ostéopathe alien non binaire à quatre bras. Il m'aura fallu une bonne dizaine de minutes pour en finir avec cette foutue crème et je parviens à souffler. La télé crache une musique alien électronique dont je ne comprends pas un traître mot et dans le coin cuisine, un plat tout prêt, fumant et potentiellement cramé, attend dans le... truc qui prépare la bouffe toute prête. Le cul tout lisse, j'enfile un pantalon et rejoins ma bouffe. Départ livraison prévu à 14h. J'ai encore largement le temps.

C'était un hasard s'il se trouvait là. Un hasard qui l'avait conduit à trouver l'adresse de Darren dans les dossiers du Kan. Un hasard qui l'avait mené à venir repérer les lieux. Un hasard qui avait fait que cet endroit se trouvait régulièrement sur son itinéraire de retour de mission. Un hasard aussi, donc, qui fit qu'il se trouva sur une coursive qui longeait l'un des bâtiments voisins à celui qui hébergeait l'appartement de l'humain, lorsqu'un groupe armé s'approcha du lieu.

Il les observa un moment, depuis son perchoir. Six individus, espèce et genre indéterminés, bien que leur apparence générale lui permette de mettre de côté un certain nombre de races auxquelles ils n'auraient pu appartenir. Equipement noir, plastrons, casques... Rien dans leur attirail n'attirait vraiment l'attention, au delà de leur attitude globale, et cette presque banalité dans leur accoutrement lui fit froncer les sourcils. Les gangs cherchant à intimider une cible s'embêtaient rarement à porter un uniforme, et cherchaient généralement plutôt à se faire remarquer. Et le groupe en question ne portait aucun des signes distinctifs des différentes forces de l'ordre d'Orophée. Ils cherchaient donc à être discrets dans une certaine mesure, et leur petit nombre impliquaient plutôt un commando d'élite spécialisée dans l'extraction ou l'élimination de cible qu'autre chose...

Le groupe se scinda en deux, et une unité de trois se dirigea vers l'intérieur du bâtiment, tandis que l'autre relevait la tête, semblant observer une fenêtre spécifique. Il ne lui fallu qu'une demi seconde pour calculer la trajectoire de leur regard, et établir qu'ils fixaient bien le logement du coursier. Il se mit immédiatement en action.

La rambarde de la coursive fut enjambée avec fluidité, et il désescalada la paroi de son bâtiment sans marquer une seule pause. Trente secondes lui suffirent à rejoindre le sol. Les deux groupes armés étaient toujours devant le bâtiment, l'un surveillant la fenêtre, l'autre posté devant la porte principale. Comme s'ils attendaient un ordre.

T0 adopta une démarche neutre, mais rapide, ignorant tout à fait le groupe maintenant qu'il était à leur hauteur, et se contenta de faire le tour du bâtiment, mettant le plus de nonchalance possible dans son attitude pour ne pas être remarqué. Ce n'est qu'une fois hors de vue qu'il pressa le pas, courant en direction de l'escalier de secours avant que l'un des deux groupes n'ait l'idée de venir sécuriser celui-ci pour s'assurer que leur cible n'aurait aucune issue possible.

Il grimpa les marches deux à deux, montant rapidement dans les étages, et parvint finalement à celui qu'il avait enregistré comme étant le bon. Un coup de pied placé au niveau de la serrure de l'issue de secours suffit à faire sauter celle-ci, et il se retrouva rapidement dans le couloir. Il parcouru celui-ci de quelques grandes enjambées, jusqu'à se retrouver face à la porte de Darren.

Le sort qu'il lui réserva ne fut pas plus tendre que celui de la précédente qu'il avait franchit. Un coup de talon, juste au dessus de la serrure. Celle-ci fut défoncée dans un grand bruit de métal. Le panneau de bois pivota dans un avec un claquement, jusqu'à venir rebondir mollement sur le mur derrière celui-ci, s'interrompant là et pendant mollement à ses gonds à demi arrachés. Il entra dans la pièce.

- Sorry for the door. Was in a hurry.

Son regard fit deux allers-retours de la tête aux pieds de l'humains, s'assurant de son état relatif et jaugeant du temps qu'il lui faudrait à réagir. Puis il enchaîna une suite de phrases courtes pour résumer au mieux la situation, tout en exprimant l'urgence de celle-ci.

- Not here to kill you. You gotta get out of here. Quick. Someone's coming for you. Don't know who. Don't seem friendly. Grab a gun if you have one.

Aurais-je dû l'entendre arriver? Aurais-je seulement pu? Non, et non. Lorsque la porte vole, presque, en éclat et vient rebondir mollement contre le mur, la boite de nourriture s'envole également. Plus spécifiquement, elle saute hors de ma main et tombe par terre dans un unique son semblable à un splash qui trahit le silence entre le coup et sa voix. - Sorry for the door. Was in a hurry. - Je suis planté là, déphasé, à scruter mon visiteur. Il y a comme un décalage. Un décalage entre la pièce et lui. Sa silhouette se détache du reste parce que... Bordel, mais qu'est-ce qu'il fout là?! - Not here to kill you. You gotta get out of here. Quick. Someone's coming for you. Don't know who. Don't seem friendly. Grab a gun if you have one. - Une seconde. Deux secondes. Trois sec... - WHAT?!

Il me faut encore quelques secondes de plus pour intégrer ce qu'il vient de dire et prendre conscience que bouger serait judicieux. Bouger vers où? Mon sac. Non. Après. Mon flingue? - Why the fuck would I have a gun?! - Lâché-je en faisant volte-face. Heureusement pour moi et mon ptit cul d'humain, j'ai enfilé le pantalon que je comptais mettre pour le boulot. Je n'ai donc qu'à mettre le reste. Le reste? Un vieux haut blanc, chaussettes et chaussures. Et bien sûr ma veste toute neuve piochée dans les vêtements trouvés d'un local d'aide aux sans abris du coin. Dernier accessoire, mon fidèle sac en bandoulière. Avec mon équipement habituel. Je ne garde rien de valeur dans l'appartement. Vu l'état des lieux, c'est un coup à se faire cambrioler tous les deux jours et je préfère avec mes affaires sur moi.

Assurant la position du sac que je trouve sensiblement plus lourd que d'habitude, je pousse le tiroir du pied et me retourne enfin vers T0. - Ok. Ready. Lead the way. - Demi tour, gauche. Il prend la tête et je le suis dans le couloir jusqu'à l'ascenseur. Il n'y a pas trente six façons de se déplacer dans cet immeuble et à l'état de la porte de secours, il n'est pas arrivé par devant. Et comme je le suspectais, lorsque nous embarquons, c'est pour monter et non descendre. - How did you get here? I mean, how did you know they were coming? - Sonnerie désincarnée. Portes qui s'ouvrent. Un court corridor mène à quelques marches et une porte. La porte vole, encore. Le toit est désert. Mon cœur bat à tout rompre. J'ai chaud et froid en même temps. - Where to next? - Lancé-je tout en balayant la zone du regard. Je connais ces toits comme ma poche pour les avoir souvent utilisés en allant et revenant de livraisons. - You know what? Lets go th... - Bourdonnement léger. Je tourne la tête. - Please tell me they're your new robot pets. - Des billes sombres, flottantes. Une dizaine qui forment un nuage éparse et viennent d’apparaître au bord du toit.

L'humain mis quelques secondes à réagir. Secondes trop longues à son goût, il hésita presque à le charger sur son épaule sans lui laisser le temps de faire quoi que ce soit, et à juste fuir en le transportant de la sorte. Mais un androïde traînant derrière lui un humain à moitié nu en guise de bagage à main attirerait pour sûr l'attention, et s'ils voulaient échapper au groupe qui en avait visiblement après Darren, mieux valait pour eux rester discret. Il laissa donc le coursier finir de s'habiller et charger une arme dans son sac à dos, et s'empressa de ressortir du minuscule studio une fois ceci fait.

Les deux groupes d'assaut devaient s'être mis en action. Il leur restait donc peu de temps. S'ils voulaient prendre Darren en tenaille, une de deux unités suivrait son idée d'emprunter l'escalier de secours, et l'autre prendrait l'ascenseur. Il fallait donc qu'il les batte de vitesse à cette idée là. Il leur suffirait alors de monter au dernier étage pour rejoindre le toit. L'humain était doué pour se déplacer dans cet environnement, et ils parviendraient peut être à ainsi gagner du temps.

Son poing s'écrasa sur le bouton d'appel, et la cabine se mit aussitôt en branle, montant rapidement à leur étage - pas depuis le rez de chaussée, ils n'avaient donc pas eu le temps de monter. La porte s'ouvrit et il s'engagea dans l'ascenseur, Darren sur les talons.

- How did you get here? I mean, how did you know they were coming?

Un coup d'oeil à l'humain, T0 pressa le symbole indiquant le dernier étage. Les portes se refermèrent et ils s'élevèrent plus haut dans le bâtiment. Une ligne de son code lui indiqua que son regard était passé de jaune à orange. S'il ignorait encore le rôle exacte de ces couleurs et la façons dont elles se déclenchaient, il avait appris au cours des dernières semaine à reconnaître les commandes qui indiquait leur déclenchement...

- I just... Happened to be in the neighborhood. I... Calculated a high probability they were after you... Luck. I guess.

Le ding des portes se rouvrant coupa court à leur discussion, il se remit immédiatement en marche. Ils rejoignirent rapidement la volée de marche donnant sur le toit et déboulèrent sur ce dernier. Restait à savoir vers où fuir, définir des itinéraires était davantage le rôle du coursier que le sien, et ce dernier connaissait sans doute cette partie des toits de la ville bien mieux que lui-même, il préféra donc lui laisser ce choix, quittent à ce qu'ils retournent à la planque que lui avait montré l'humain lors de leur première mission.

- You know what? Lets go th...

> Sensor Proximity Alert//
> Unidentified Flying Objects Incoming//

Il pivota dans la direction indiqué par ses senseurs, sa main se refermant instinctivement sur la crosse de son arme à feu.

- Please tell me they're your new robot pets.

Un essaim d'une dizaine de robot autoportant de petite taille, sphériques, noirs. Ses yeux passèrent de l'un à l'autre alors que ses capteurs s'efforçaient d'en comprendre le rôle.

> Analysis Reveals Highly Explosive Components//
> Hypothesis: Automated Flying Bombs//

Un grognement franchit ses lèvres et il tira son gun hors de son holster, braquant immédiatement le canon de celui-ci sur l'une des sphères.

- They are not. Run.

S'il parvenait à en atteindre une suffisamment au centre, il pourrait peut-être compter sur l'explosion pour créer une réaction en chaîne qui les détruirait toutes d'un seul tir. D'un geste du pouce, il fit sauter la sécurité de son arme. Son index se resserra autour de la gâchette, il tira le premier coup.

They are not. Run. - Répond-il, son arme déjà dégainée, avant de tirer. Une balle unique traverse l'espace. J'aurais dû partir en courant, je suis encore immobile. Je suis captivé parce qui va se passer, et ce qui se passe est loin de ce que j'aurais pu anticiper. Le nuage ne s'écarte pas pour éviter la balle. Les sphères ne restent pas plus statiques, comme si elles n'avaient pas eu le temps d'esquiver. Le nuage continue d'avancer et l'une des sphères prend les devants. Elle vient à la rencontre de la balle, à mi-chemin, et l'impact manque de subtilité. L'explosion est immédiate. Le souffle, désarçonnant. La déflagration de flamme bleus s'étend sur cinq mètres carrés et les autres sphères la traverse sans la moindre hésitation. Leur cible? Nous. - Fuck fuck fuck fuck...

Déclencheur de force, l'explosion m'a au moins rendu le contrôle de mes jambes et je fais volte face. Je n'ai qu'une fraction pour décider de la direction à prendre et me diriger immédiatement vers ma planque n'est pas dans les plans du moment. Il nous faut d'abord perdre ces trucs-là, et les gens qui les commandent. L'une des sphères file vers nous. Plus le temps de cogiter. - Jump! - Lancé-je à T0 alors que, moi-même, je sautais du toit pour en rejoindre un autre. L'espace vide ne devrait pas être un problème pour lui. Moi, je rate un battement lorsque je réalise avoir le temps d'apercevoir, en contrebas, une silhouette en armure noire qui tire vers nous. Une vision écourtée par la brutale explosion de la sphère, au bord du toit, qui décale ma chute et me permet de rejoindre le toit voisin. Elle nous a évité de peu.

Je roule au sol. Enfin, je chute lourdement, mais je roule. - Overreacting much?! - Je tourne le regard vers T0, déjà sur mes jambes et déjà en train de repartir. - We need to lose them! - Leur bourdonnement incessant va me filer des cauchemars. Mes oreilles vibrent, désagréables. - Or explode them. I don't know. - Je glisse sous une conduite d'eaux usées et continue ma course. La périphérie du toit approche, et au-delà, il nous faudra escalader sur quelques bordures. Un obstacle qui nous aurait fait gagner du temps si l'on était poursuivit par des gens. Pas par des sphères flottantes. Darren, sale imbécile! Un regard en arrière. J'ai dû passer sous cette conduite à cause des deux blocs qui me bloquait le passage. Des transformateurs énergétiques. Un danger sanitaire massif, mais un avantage pour nous à cet instant. - Shoot the pipe!

Courir, sauter, fuir. Fallait-il qu'il se retrouve dans ce genre de situation à chaque fois qu'il croisait le coursier ? A croire que celui-ci n'était peut-être pas aussi clean que ce que le Kan avait pu évaluer. Où à l'inverse, est-ce qu'ils s'étaient intéressés à lui parce qu'ils savaient précisément qu'il cachait quelque chose ?..

L'heure n'était pas vraiment à ce genre de réflexions. La balle qu'il avait tiré fit bien exploser sa cible, mais les autres sphères ne furent aucunement affectées par la déflagration. Et ils se retrouvaient donc à nouveau à fuir, à sauter d'un toit à l'autre en espérant semer les engins de mort qui leur filaient après. Sans oublier les petit groupe armée qui était à l'origine de cet assaut , et qui se mit à leur tirer dessus depuis les rues en contrebas, rajoutant encore au danger de la situation.

Ils continuèrent à fuir, et T0 se maintint à la hauteur de Darren, s'assurant que l'humain ne reste pas seul à l'arrière, au cas où il aurait besoin d'assistance. Sauf que le coursier les avaient mené dans une direction qui allaient les ralentir, et son détecteur de proximité était formel : les sphères ne se laissaient pas distancer. Il allait falloir trouver une autre solution.

Sauter au bas de l'immeuble n'était pas envisageable, aussi solides que soient ses jambes, elles ne seraient pas amorti par une pile d'ordures comme la dernière fois qu'il avait tenté ce genre de cascade. Il se voyait mal devoir encore réclamer des réparations, et quand bien même, Darren ne survivrait lui probablement pas du tout à la chute.

Son processeur était encore en train de calculer toutes les issues possibles, et les pourcentages que celles-ci offraient en thème de chance de survie quand Darren lui cria quelque chose.

- Shoot the pipe.

Un regard derrière lui, ses yeux trouvèrent rapidement le tuyau en question, analysant en une fraction de secondes l'intérêt d'user d'une de ses balles pour détruire le conduit.

> Contents analyzed: wastewater//
> Warning: Proximity With a Transformer//
> Results in Electrical Hazard//

Il braqua le canon de son arme sur ce qui venait de devenir une cible, pressa la détente. La balle fila droit en direction du conduit, en perça la surface. La pression de l'eau à l'intérieur fit le reste, et face à la faiblesse nouvelle de la structure ainsi endommagée, le tuyeau explosa tout bonnement.

Sous l'effet de la pression des eaux usées, la conduite explose. Il ne faut pas longtemps au liquide pour inonder le toit et infiltrer les transformateurs d'énergies qui commencent à fumer. Au moment où eux mêmes explosent, nous sommes déjà entrain d'escalader la corniche. Si nous avions des poursuivants à pieds, ils seraient électrocutés par l'eau, mais ce n'était pas le plan. Comme je m'y attendais, l'énergie des transformateurs est propagé dans l'air également. Dans les micro-gouttelettes que forme encore l'eau lorsqu'elle a explosé la conduite. Une nuage électrique, ni plus ni moins, et les sphères s'y prennent sans avoir le temps de le contourner. La plupart explosent sous le choc. D'autres sont épargnés par le souffle des dites explosions. Peu nombreuses, cela dit, et endommagées. L'une d'elle, d'ailleurs, est propulsée si vite dans notre direction qu'elle s'encastre dans le mur que j'escaladais. Son enveloppe est fendue. Son système visiblement désactivé. J'hésite un instant puis l'attrape pour la fourrer dans ma poche avant d'achever mon ascension.

Une fois sur la corniche du toit suivant, je me retourne vers les blocs où mon petit appartement demeure. T0, bien sûr, n'a pas besoin d'aide pour escalader. - C'est qui ces types... - Plus de sphères folles à nos trousses, je prends un instant pour reprendre mon souffle. - Je te jure, j'ai vexé personne. - Je suis un modèle de professionnalisme et je ne suis pas du genre à traîner dans les bars à semer toute sorte de problèmes. Je travaille bien, et quand je ne travaille pas, je préfère rester tranquillement chez moi et mener une petite vie calme. Bon, certes, je travaille beaucoup, mais là n'est pas la question. - On devrait filer avant qu'ils ne nous rejoignent. - Je sors la sphère hors d'usage de ma poche. Elle repose au creux de ma main, encore chaude. - Tiens, elle a l'air fichue. Tu pourras peut-être en tirer quelque chose. - Je détourne le regard pour le lever vers lui. - Commencer par retirer l'explosif pourrait être pas mal, si tu y arrives. - Simple sécurité.

J'ai le cœur qui bat fort, mais c'est un effet de l'effort. La preuve, malgré la situation, je reste calme et réfléchis. Je n'aurais jamais cru être capable d'anticiper l'effet de l'explosion de cette conduite d'eau, mais à l'évidence j'ai un bon esprit pratique. - Come on. Lets make a large detour to be sure we lost them. - Dis-je en commençant à marcher vers l'autre bout du toit. C'est un large immeuble, j'ai le temps de le traverser, mais je marche vite. Loin de moi l'idée de laisser nos assaillants le loisir de nous rejoindre. Ils ont certainement suivi les sphères et seront là d'une minute à l'autre. Mentalement, je cartographie déjà notre itinéraire. - Comment est-ce que tu as su qu'ils arrivaient? Le Kan a été alerté?

Stratégie efficace. Les sphères traversèrent le nuage électrique qui eut raison de la plupart d'entre elles. Rengainant son arme, il fit volte-face et s'empressa de rejoindre Darren qui avait continué d'avancer, escaladant un mur un peu plus loin.

- C'est qui ces types... Je te jure, j'ai vexé personne.

Il se hissa à son tour sur la corniche, braquant les yeux sur l'humain en analysant son comportement.

> Heartbeat Stable//
> Pupil Dilatation Nonsignificant//
> Analysis......//
> Working............//
> Result: Subject Not Lying//

- I don't know who they are. They don't seem to belong to any group I know or have data of.

Il se remit en marche sitôt que le coursier eut annoncé qu'ils feraient mieux de partir d'ici. Ils avaient semé le groupe pour l'instant, mais ça ne durerait pas s'ils restaient plantés là. Sa main se referma sur la sphère que lui tendait Darren, et il jeta un bref coup d’œil à celle-ci avant de la ranger dans sa propre poche. Si effectivement il pourrait tenter d'utiliser celle-ci pour en savoir plus, ce n'était ni le moment ni l'endroit. De même pour une tentative d'extraction de l'explosif. Le déminage ne faisait pas partie de sa programmation, il n'allait pas si essayer au milieu d'un toit alors qu'ils étaient encore proches d'une force hostile inconnue.

- Comment est-ce que tu as su qu'ils arrivaient? Le Kan a été alerté?

Darren avait visiblement déjà décidé de leur trajet pour éviter une nouvelle confrontation avec ses assaillants, et il avait déjà pu constater l'efficacité de ses facultés d'orientation. Il se fierait donc à celles-ci. Son pas calé sur celui de l'humain, il marcha à côté de lui jusqu'à ce qu'ils rejoignent l'autre bout de l'immeuble sans jeter un seul regard au coursier.

- J'en savais rien, j'étais là par hasard.

Un code de son processeur l'averti immédiatement que ses yeux venaient de virer au orange. L'humain n'était techniquement pas membre du Kan, ni son supérieur hiérarchique. Lui mentir n'allait donc pas à l'encontre de sa programmation. Et quand bien même ce fut le cas, les bugs toujours présents dans son système lui permettaient de contourner ce genre de problèmes. Ca ne l'empêchait pas de questionner ce genre d'actions, qui allaient à l'encontre de sa nature. Mais la raison même de sa présence au milieu de l'attaque ne faisait pas sens du point de vue de sa fonction simple. Un dysfonctionnement de plus ne le tuerait pas...

- Where are we going now?

J'en savais rien, j'étais là par hasard. - Je tourne la tête vers lui, croise les pupilles orangées. Il est là par hasard. Ils sont le hasard. Ça fait beaucoup de monde qui n'a rien à faire dans mon environnement et qui pourtant y fait exploser des bombes. Parfois, je me dis que je mériterais un peu plus d'espace ou de possessions personnelles. Et puis ce genre de chose arrive, et je réalise que ne pas posséder grand chose n'est pas si mal. J'ai pu quitter ma case sans rien abandonner. Ce que je porte sur moi est ce dont j'ai besoin, le reste est sacrifiable. Je n'ai de toute façon pas eu le choix. Alors quoi dire de notre destination? Est-ce que ça me peinerait de la perdre? - Where are we going now? - Home. The long way around.

Je saute de la corniche. Moins dans l'urgence que lorsque nous étions poursuivis, je profite d'une meilleure précision dans mes mouvements. Je prends ainsi moins de risque. Il serait dommage de mourir accidentellement après tout ça. Comme prévu, je fais un large détour. Je refuse de les mener à mon petit nid secret. En ligne droite, le trajet ne durerait que quelques heures. Avec ce détour, nous devrions l'atteindre en fin de journée. Enfin, tout dépend de notre arrêt.

Nous courrons sur les toits de la ville pendant un bon moment. Je ne lésine pas sur l'effort afin d'être bien certain que nous ne sommes pas suivis. Il y a un risque. Il se trouve dans la poche de T0, mais je ne l'ai pas oublié. Un dernier toit laisse place à une série d’entrepôts de stockage d'ordure de plus en plus petit jusqu'à ce qu'on puisse sauter au sol humide d'une décharge sauvage. Enfin, elle était peut-être sauvage au début, mais les autorités ont eu vite fait d'abdiquer et de construire une infrastructure officielle autour. L'endroit est chaotique, remplis de merdes en tout genre et traversé de quelques canaux transportant des eaux usées. Bref, ça pue l’œuf pourris et la moisissure, c'est infesté de rats aliens et de sans abris, mais on peut s'y perdre sans jamais en sortir. Parfait.

Ici ça devrait être parfait. - Cafards au centre des monticules de déchets, je me retourne vers T0. - Hors de question d'emporter la sphère à notre destination sans l'avoir débarrassée de l'explosif et du système de localisation. Pour ce qu'on en sait, ils peuvent nous suivre à la trace ou nous écouter. Même s'ils nous traquaient jusqu'ici, ça leur prendrait un moment pour nous débusquer, mais ne perdons pas de temps. - L'avantage de cette sphère, c'est que son irruption dans le mur a révélé la délimitation de son ouverture. Il suffirait d'appuyer un peu pour que le tout coulisse sur lui-même et nous permette d’accéder à ses entrailles technologiques. - Est-ce que tu peux le faire?