A Cover is Not the Book. || Ft. Ama

La silhouette de Solitude m'a toujours semblé incroyable. Cette cité fortifiée, juchée sur ce pont rocheux naturel. Incroyable, ouais. Inquiétante aussi. Parce qu'à chaque fois que j'y vais, je me demande à quel moment elle va s'effondrer. La cité en elle-même est très belle, si on aime les grosses pierres taillées et les hauts murs. J'aime bien y être, ça sent le propre. Si on considère que Bordeciel connait la propreté. Par contre, les gens... Foutus populaces de riches imbéciles qui ne voient le monde qu'en or ou rubis. Une bande de beaux parleurs qui sont pas vraiment beau, et sérieusement disent du vide. Bref, la définition exacte. Et encore bref, pas mon environnement de prédilection. Je suis plus à l'aise sur la route, ou dans des villes plus modestes. Donnez-moi une hutte au fond des bois et je m'en sortirais très bien. Et puis au moins, on ne me verra pas faire de transe n'importe où n'importe quand. La dernière intrusion d'Azura m'a frappé lorsque j'étais en train de pisser sur le bord de la route, au bord d'un petit fossé. Devinez où je me suis réveillé après la vision.

Quoi qu'il en soit, ma visite à Solitude n'a rien d'un acte touristique. Le fief de l'Empire en Bordeciel n'a rien à m'apporter si ce n'est le théâtre de ma prochaine mission. Quelques jours plus tôt, j'ai rencontré un Argonien dans une auberge de chemin, au-dessus de Faillaise. Il m'a paru louche, mais tous les Argonien paraissent louches. Celui-ci particulièrement parce qu'il portait l'uniforme de la Guilde des voleurs, parce que je ne suis ni aveugle ni stupide, et qu'il m'a engagé pour... un cambriolage, c'est ça. Pourquoi un voleur de la guilde déléguerait un cambriolage? On ne peut pas dire que ce soit bon pour leur réputation. Ou peut-être est-ce un incompétent qui fait croire qu'il fait ses casses? Peu importe, tant que je suis payé. La cible? L'une des grandes maisons de maître de Solitude. À l'intérieur, je dois trouver un livre. Un épais volume à la couverture de cuir teintée de violet. Pas de titre ni d'auteur, mais je le reconnaîtrais aux trois lignes dorées sur sa tranche, ainsi qu'une dédicace à son propriétaire d'origine, Delvar, inscrite sur la première page. L'Argonien n'a pas expliqué qui le voulait ou pourquoi, je n'ai pas demandé, et je n'en avais de toute façon pas besoin. Je lui ai serré la patte. Nous avons bu. Je suis parti.

Solitude n'est pas vraiment l'endroit le plus facile pour organiser un cambriolage. Des gardes partout. Aucune échappatoire ou presque. Des branleurs en jupons hors de prix qui quittent rarement leur domicile sauf pour aller lécher des culs au palais... Bref, pas pour rien que la paye est aussi alléchante. Je suis arrivé dans le coin la veille. J'ai dormis à l'auberge, discret voyageur parmi tant d'autres. J'ai fais mes repérages habituels durant la journée et remarqué que les habitants de la maison étaient absents. En voyage à Fortdhiver. En revanche, la maison est surveillée par quelques gardes. Ils ont l'air d'avoir été postés-là exprès, et patrouille autour du bâtiment. Ils n'ont pas l'air d'entrer, en tout cas pas tant que je surveillais, donc la question est de les esquiver. Une fois dedans, je devrais être tranquille pour fouiller. Et vu la taille de la maison, trouver un seul livre devrait prendre un certain temps.

J'ai quitté ma cachette aux alentours de 19h. J'ai pris le temps de voir si leur comportement changeait avec la nuit, puis je suis retourné à l'auberge pour dîner. Inutile de prendre le risque d'agir si tôt. Le plus efficace et le plus sûr sera d'y retourner en plein milieu de la nuit, quand tout le monde dort et quand même les gardes commencent à trouver le temps long. Quand le sommeil les menace. Là, alors, je passerais à l'action.

Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas vu Solitude ! Plusieurs années, maintenant qu'il était au service de son nouveau maître depuis deux ans. Haneus Metrian, son employeur, était un vieil érudit breton qui collectionnait moult ouvrages de magie et qui faisait des recherches sur une partie obscure de l'Histoire de Tamriel. Il était assez secret pour qu'Amadeus n'en sache pas davantage, et le mage n'était pas non plus du genre à vouloir lui tirer les vers du nez. Il avait de l'argent, mangeait à sa faim, et au-delà du sentiment de plus en plus glaçant de solitude qu'il niait de toute son âme, tout allait pour le mieux.

Fort d'Ivar était un endroit plutôt calme, beaucoup trop pour un Amadeus habitué à voyager : ça aussi il avait dû s'en passer, et difficilement. Alors, quand Haneus lui demanda d'aller retrouver un livre pour lui, le mage impérial ne réfléchit pas beaucoup et accepta directement. L'histoire nous dira qu'il aurait peut-être dû peser le pour et le contre avant.

La route fut longue jusqu'à Solitude : Amadeus n'avait que quelques indices épars, comme quoi l'ouvrage serait en Haafingar. Ouais, c'était pas mal, mais ça restait une vaste zone. Amadeus se mit donc en route vers Solitude, alors même qu'il ignorait que le livre se trouvait dans la ville même. Il lui fallu attendre d'être à Pondragon pour comprendre que l'ouvrage, un grimoire sans titre mais aux trois traits dorés distinctifs, était dans la capitale même.

Son enquête le mena jusqu'à un manoir que ses occupants avaient déserté pour aller à Fortdhiver. Selon toute vraisemblance, ils n'y seraient pas avant longtemps, ce qui laissait une bonne marge de manœuvre à Amadeus. Quelques sorts d'illusion pour pouvoir passer la barrière des gardes, surtout quand la tension se relâche, au beau milieu de la nuit.

Amadeus parcourait le manoir à la recherche du livre, en essayant de rester le plus discret possible. Il y avait de fortes chances que le livre ne soit pas rangé avec les autres, compte tenu de la valeur qu'il semblait avoir, mais ça ne coûtait rien de vérifier les bibliothèques classiques. Enfin. Sauf si bien sûr quelqu'un vous surprenait en train de le faire.

Même à Solitude, capitale du luxe, de la richesse et des manches de balais enfoncés profond dans le cul des gens, la nuit réveille de vieux instants. Lorsque je quitte l'auberge, un peu après une heure du matin, les quelques personnes qui occupent encore les chaises, et une table, de la salle sont des poivrots complètement ivres. Leur tenues liserées de tissus précieux souillés par l'alcool et la saleté. L'une des femmes, particulièrement intoxiquée, essaye de pisser dans un pot de fleur et c'est comme ça que j'évite l'attention de l'aubergiste et passe la porte sans éveiller le moindre soupçon.  Anticipation de mes plans immédiats, je me suis équipé en considération. J'ai laissé mes épées dans ma chambre, avec mon sac. Je n'ai sur moi que ma tenue de cuir, mes dagues de lancer, ma dague en ébonite et mon fidèle poignard. Je porte tout de même un petit sac en toile, dans mon dos, pour ne pas avoir le livre dans les mains ensuite.

À l'extérieur, il fait nuit. L'un des derniers brins de lune éclaire modestement les dalles usées et je reste dans l'ombre avec aisance. Les gardes de la ville ne sont pas difficile à éviter. Pour la plupart, ils restent à leur poste. Quand à ceux qui patrouillent dans les rues, il me suffit de les contourner. Le manoir que je vise est celui se trouvant juste avant les locaux de la guilde des bardes. Ces gens-là ne dorment jamais. Toujours un instrument qui crache sa musique agaçante, ou un chant de qualité limité qui s'entonne. Une distraction naturelle qui peut me servir, mais pas pour le moment. Comme j'ai pu le remarquer, les gardes assignés à la surveillance du manoir restent à l'extérieur. Deux devant chaque porte, sauf celle de la cave. Celle-ci n'a de toute façon pas de serrure, et est verrouillée de l'intérieur. Certainement une barre transversale. Inutile pour entrer, mais je pourrais sortir par là. Un homme et sa torche font le tour du bâtiment  en permanence. De quoi se faire les jambes, surtout avec le poids de l'armure bruyante qu'il porte. J'attends donc dans l'ombre qu'il passe, et lorsque la lueur de sa flamme disparaît, je traverse la rue en courant.

Agile, je prends appuie sur un tonneau de céréale, me hisse sur l'une des corniches sculptées et escalade la façade en silence jusqu'à une série de fenêtre du premier étage. Les portes gardées et verrouillées sont toujours un soucis. Les fenêtres, en revanche, sont faciles à ouvrir. Il suffit d'une lame fine pour passer dans l'interstice et soulever le crochet, outil que je porte toujours sur moi. Et je m'infiltre.

L'avantage des maisons de Solitude est leur conception en pierre. Pas de bois. Ce qui veut dire, pas de plancher qui craque. Rangeant la lame dans son encoche, je fais quelques pas et jauge le terrain. Si l'aménagement est similaire aux autres habitations de la ville, je veux surtout m'assurer qu'il n'y a effectivement aucun garder à l'intérieur. J'attends donc quelques secondes, immobile, à l’affût du moindre bruit de déplacement et... Je ne suis pas seul. Pourquoi ne suis-je pas seul? Les propriétaires sont absents, de ça je suis certain. Ont-ils placé un garde à l'intérieur finalement? Je ne peux pas commencer à fouiller sans m'assurer qu'on ne me tombera pas dessus, alors je me mets en quête de localiser les gêneurs. Au bruit, je compterais une seule personne. Inutile de l'attaquer ou de l'assommer, ça ne ferait que leur donner une cible à pourchasser. Il me suffira de savoir où il est pour l'éviter tout en fouillant. La maison est plongée dans une pénombre relative, mais je suis plus efficace ainsi. Cela dit, chercher un livre dans le noir sera moins évident, il me faudra trouver une solution à ça ensuite.

Silencieux comme la mort, je me déplace. Je descends les escaliers et mon regard accroche sans mal l'éclat de lumière discrète, dans l'une des pièces du rez-de-chausser. Pas la lumière d'une torche. Il s'agit d'une lueur blanche presque bleu. Une lumière magique, bien plus tamisée et feutrée qu'une lumière normale. Quel genre de garder utiliserait ça? J'attends le sol, continue de m'approcher. Désormais intrigué par la lueur pulsante, je commence à redouter d'avoir de la compétition. Je pourrais m'arranger d'un voleur lambda, mais s'il s'agit de la guilde... Deux nouveaux pas, je m'appuie contre le mur de séparation. La lueur n'est pas assez forte pour projeter mon ombre. Elle est surement tout juste suffisante pour voir à une distance immédiate. Je passe la tête par l'arche de pierre, juste un instant, pour voir à qui j'ai à faire. À quoi j'ai à faire.

On dit que la nuit, tous les chats sont gris. La lueur magique n'aide pas à contredire ce proverbe. La robe de mage a l'air grise, même si mes yeux devinent qu'elle est en fait bleu. L'homme qui la porte est plutôt grand, fin sans être athlétique comme on pourrait s'attendre d'un mage. La sphère de lumière magique flotte à côté de lui alors qu'il observe les étagères de livres de la petite pièce. Il est brun, le crâne bien formé et les cheveux sur les oreilles. À un moment, il tourne légèrement la tête et mes yeux s'agrandissent à reconnaissant ce profil à la mâchoire parfaitement dessinée sous cette barbe entretenue. Barbe inédite à mon regard, d'ailleurs. Quand je voyageais encore avec ce mage-ci, ses cheveux étaient court et sa barbe, rasée de près. - Ama? - Dis-je à voix basse en sortant de derrière le mur. Peu importe la façon dont j'aurais pu me révéler, aucune n'aurait prévenu un sursaut ou un bond de sa part. - What the hell are you doing here? - Demandé-je, malgré tout interloqué par sa présence.

Il avait changé en deux ans. Il avait pris de la barbe, un peu plus d'épaisseur aussi, et avait laissé ses cheveux pousser. Il n'avait plus l'air aussi frais et à croquer que pendant sa vingtaine, et arborait un style largement plus posé. Il n'avait pas non plus pris dix ans, alors ce n'était pas difficile pour Khelan de le reconnaître.

Il sursauta en entendant la voix, et manqua de faire tomber le livre qu'il tenait, ou de pousser un long hurlement aigu. Heureusement pour sa fierté, et aussi un peu pour sa sécurité, au cas où les gardes rappliquaient, il ne fit rien de tout ça. Il se figea sur place, le livre qu'il tenait toujours en l'air, et regarda Khelan.

Son ancien compagnon de route n'avait pas vraiment changé, contrairement à lui. Il était toujours le même homme terriblement musclé et séduisant et aussi légèrement inquiétant... Raison pour laquelle il ne bougeait d'ailleurs plus. Cela dura quelques secondes, avant qu'il ne sourit de façon gênée, en lui faisant un petit geste de la main :

— Du tourisme ?

Faire une plaisanterie dans ce genre de situation, c'était bien son style, même s'il ne s'attendait pas à ce que Khelan éclate de rire. Il pouvait d'ailleurs lui retourner la question, mais il se doutait déjà de la réponse.

— J'imagine que toi aussi tu as trouvé ce manoir un peu trop désert ?

Il y avait de fortes chances pour que Khelan ait été mandaté pour piquer un truc dans la bâtisse, mais il n'était pas improbable qu'il soit de mission de surveillance et de sécurité. Ce qui mettrait Amadeus dans une très fâcheuse position.

— Rassure-moi, t'es pas là pour me mettre dehors...? Parce que je suis sûr qu'on peut négocier...

Ouais, les négociations à la Ama, ça impliquait souvent bien peu de vêtements, et l'impérial n'était pas sûr que Khelan soit dans ce genre d'humeur. Lui non plus, à vrai dire. Il était toujours sous le choc de s'être fait surprendre en plein vol, tant et si bien qu'il ne réalisait pas encore qu'il venait de retrouver Khelan après deux longues années sans le voir.

Du tourisme ? - Mon air surpris se décompose en un visage peu impressionné. Sérieusement? J'ai beau me retrouver en présence d'Amadeus pour la première fois depuis deux bonnes années, j'essaye de demeurer impassible. Une chose peu difficile à faire pour moi qui suis impassible par défaut. - J'imagine que toi aussi tu as trouvé ce manoir un peu trop désert ? - Je secoue la tête. - Seulement à l'intérieur. - Dis-je à voix  basse, sans pour autant chuchoter, en m'avançant dans la pièce. Il était le seul élément bruyant de l'endroit, nous sommes seuls. De ça je suis certain. Alors pourquoi est-ce que j'ai cette tension dans mon estomac? Pourquoi est-ce que j'ai l'impression de frissonner en permanence depuis que je suis entré dans ce manoir?

Rassure-moi, t'es pas là pour me mettre dehors...? Parce que je suis sûr qu'on peut négocier... - À nouveau, je secoue la tête. - Du moment qu'on se gêne pas, j'ai aucune raison de te foutre à la porte. - Dis-je d'un ton malgré tout grave. Nous avons beau avoir voyagé ensemble et partagé maintes aventures, nous avons désormais chacun nos vies et il me connaissait pour savoir que le boulot, c'est le boulot. Serais-je capable de le tuer s'il en venait à ça? Je n'ai pas envie d'y penser.

Avec cette lumière magique, il me faut un instant pour que mes yeux s'habituent. Voir dans le noir est un truc qui vient avec le temps et j'ai vécu dans les ombres pendant longtemps. Mais lorsque la lumière revient à la charge, il est parfois difficile de voir clair à nouveau. Quelques secondes suffisent pourtant, et quelques clignements de paupières, pour réussir à voir ce que je fais. Et ce que je fais, c'est scruter les étalages de bouquins. - Noticed you copied my beard. - Reprends-je après quelques secondes de silence. Mes doigts courent sur la tranche des livres qui s’enchaînent. Une façon de concentrer mon regard. J'ignore les livres titrés. Je me concentre sur les cuirs nus. - Looks good. - Fais-je, distrait. Ce livre là est bien violet, mais n'a pas les traits dorés qu'on m'a décris.

Un soupir m'échappe. Cet endroit est grand et les bibliothèques ne manquent pas. Un coup de main ne serait pas de trop et quelle chance, ces mains-ci, je les connais. Chance ou coïncidence. Malheureusement, je ne crois en aucune d'elles et c'est pour ça que j'hésites avant de céder à lui demander. - So. You didn't answer. Why are you here? - Je détourne les yeux vers lui. Il a bien changé. La barbe et les cheveux ne sont qu'une fraction de la transformation. Il a l'air plus posé, plus sérieux si c'est possible. Il est plus épais aussi, de quoi mieux remplir cette robe de mage qui ne laisse deviner quoi que ce soit. Définir si cette nouvelle masse est le résultat d'un entrainement ou de visites trop fréquentes en cuisine nécessiterait pourtant un regard là-dessous. Ce n'est pas comme si je pouvais me fier à son visage. Il a toujours eu de bonnes joues. - I actually could use the extra pair of eyes, if you can look for two things at the same time. Could get us both out way quicker if we help each other. - Demander de l'aide est inhabituel pour moi, mais c'est le plus proche de "je suis content de te voir" dont je suis capable pour le moment.

Il essayait de faire de l'humour, mais la situation était plus complexe qu'il voulait bien l'admettre. Khelan aurait pu être embauché pour tout et n'importe quoi, y compris pour éloigner les curieux ou les voleurs. Voleurs dont il faisait partie, un peu malgré lui. Il fallait bien qu'il fasse ce pour quoi il était payé, même quand ça l'enthousiasmait moyennement. Heureusement, Khelan n'était pas un garde en plus. C'était toujours ça de pris.

Amadeus soupira et reposa le livre qu'il avait dans les mains dans la bibliothèque. Ce n'était manifestement pas celui qu'il cherchait. Tournant un regard vers Khelan, le mage réalisait à quel point il n'avait pas changé. Lui avait laissé le poil l'envahir quand c'était possible, s'était arrondi sous sa robe de mage de guérison, mais K n'avait quasiment pas bougé. C'était comme revenir deux ans en arrière... Ou réaliser que c'était du temps qui les séparait.

— Merci. J'avais juste la flemme de la raser. Et toi... T'as pas changé.

Sa voix laissa paraître une pointe de tristesse alors qu'il disait cela. Il aurait bien voulu que ce ne soit pas le cas, mais il n'avait pas pu s'en empêcher. La bibliothèque ne contenant pas le livre qu'il cherchait, il se tourna vers les coffres près du lit qu'il se mit à fouiller le plus silencieusement possible.

Et merde, Khelan avait capté qu'il n'avait pas répondu. On pouvait le prendre pour un grand dadet prompt à frapper au lieu de réfléchir, mais il n'était pas idiot et ne perdait pas le nord. Ama n'aurait pas pu s'attacher à un idiot de toute façon.

— Je cherche un objet...

Il préférait rester circonspect sur les raisons de sa présence dans ce manoir, et ce même si Khelan avait sûrement déjà dû comprendre que l'objet était un livre. Sinon pourquoi retourner la bibliothèque ? Ama entreprit de vider le coffre - en prenant l'or et les pierres précieuses au passage, fallait pas déconner non plus - tout en répondant à Khelan.

— Tu cherches quoi toi ?

Il serait vraiment ravi de l'aider, principalement parce que ça lui avait manqué, comme tout le reste : les voyages, les soirées arrosées dans les tavernes, l'écriture des romans et aussi leur conception... Amadeus avait pu progresser côté magie, mais il n'avait rien écrit depuis deux ans. Rien de fictif en tout cas, et c'est comme si ses doigts le démangeaient maintenant.

Pas changé... Je ne suis pas si sûr de ça, mais comment pourrait-il le savoir? Je suis loin d'être bavard sur le sujet et il n'était pas là pour voir le temps faire son oeuvre. En quête de coopération, je lui dis ne pas refuser un coup de main et lui demande ce qu'il cherche. La réponse, brève, n'amène que plus de questions. - Je cherche un objet... - Un objet. - Répété-je à mi-voix. Un objet se trouvant à l'évidence sur des étagères. Un objet... Mais un objet c'est vague. C'est vaste. C'est une réponse sans en être une. Pense-t-il que je me suffirais de ça? Il s'est agenouillé devant le coffre au pied du lit à l'armature solide. À l'intérieur, quelques pièces de tissu dissimulant de l'or et des pierres précieuses. Une pauvre planque pour une petite fortune, mais ces gens ne semblent pas vraiment se soucier de ce qui, objectivement, pourrait faire vivre une petite famille durant des mois. - Tu cherches quoi toi ?

Un sourire passe sur mes lèvres. Que lui répondre? Un objet? Non, soyons plus créatif. - Quelque chose. - Dis-je, provocateur, les bras croisés, en le scrutant dans la pénombre partielle. Lorsqu'il lève la tête, j'affiche un air presque outré. - Un objet? Sérieusement? - Lâché-je, surprenamment fixé sur le détail qui importe le moins. - Tu peux faire bien mieux que ça, quand même. Je suis déçu. Tu t'es ramollis. - Je me moque. Bien sûr que je me moque. C'est toujours mieux qu'accepter l'idée qu'il me cache quelque chose. Car si effectivement il retient des informations, c'est qu'il ne veut pas que je trouve ce qu'il recherche. Assume-t-il que je suis là pour la même chose que lui? Serait-ce seulement possible? J'ai réalisé une bonne chose au cour de mes voyages: l'impossible n'existe pas.

Un livre. Au cuir violet. Trois lignes dorées barrent sa tranche. - Dis-je comme on récite un conte. Je prends un risque calculé en lui révélant ça, car instinctivement je soupçonne de toute façon qu'il le sait déjà. J'analyse sa gestuelle et sa réaction. Je le connais par cœur, déceler le moindre changement ne sera pas un problème. - On m'a engagé pour trouver ce livre ici et le rapporter. - Qui et où sont des questions sans importances. D'autant qu'il me connait assez pour savoir que je protège toujours l'identité de mes clients. - Alors? Ça te dit quelque chose?

Ouais, Amadeus essayait de noyer le poisson et de garder sa mission secrète, puisqu'elle était censée le rester. Le fait de tomber sur Khelan ne l'arrangeait pas, car les années passées à le fréquenter avait rendu sa capacité à mentir, déjà pas bien folichonne, au néant complet. Alors oui, il restait vague, et parlait d'objet. Khelan n'avait bien sûr pas manqué ce manque de précisions, surtout venant d'un grand bavard comme Amadeus. S'il ne parlait pas, c'est qu'il y avait une raison.

La question renvoyée, plus par politesse qu'autre chose, est stupide. Elle appelle à une réponse stupide, et Amadeus doit bien admettre qu'il l'a bien méritée celle-là. Il ne dit rien, mais Khelan ne va pas le laisser s'en sortir aussi bien. Il revient à la charge, plus direct cette fois, tout en l'invectivant plus sèchement.

— Alors déjà, je suis pas mou. Ensuite, j'aimerais pouvoir te parler de ce que je cherche, mais j'ai mes ordres. Tu vois, absolument pas mou, môssieur.

Il fit la moue comme s'il boudait, avant de continuer à fouiller le coffre où ne se trouvait sûrement pas le livre tant convoité. C'est alors que Khelan lui décrivit ce qu'il cherchait, et la panique fit bondir Ama sur ses pieds. Les yeux écarquillés, les sourcils froncés dans une expression de stupeur, il ouvrit la bouche sans rien pouvoir dire, tant il était abasourdi.

— Tu m'étonnes que ça me dise quelque chose... Je cherche le même bouquin.

Amadeus n'avait plus le temps pour les simagrées et les mensonges désormais : on avait payé son ancien compagnon de route pour le doubler sur le vol d'un grimoire... S'étant stoppé en plein milieu de la pièce, Ama réfléchissait. Ils devaient trouver ce livre et manifestement ils ne pourraient pas le couper en deux pour en filer une moitié à leur commanditaire respectif. Ils faudraient qu'ils avisent, une fois qu'ils auraient retrouvé le livre... Qui n'était manifestement pas dans cette chambre.

— Bon, on verra plus tard pour la livraison...

Ama se parlait à lui-même presque, avant de continuer, s'adressant cette fois bien à Khelan :

— Il ne doit pas être ici, on devrait chercher dans des endroits moins évidents...

Par réflexe, Amadeus commença par l'armoire, sortant et admirant parfois un sous-vêtement ou un jupon. Il n'avait changé qu'en surface, semblait-il.

Tu m'étonnes que ça me dise quelque chose... Je cherche le même bouquin. - Et merde. Ceci n'est pas du tout une bonne nouvelle. Mais alors, pas du tout. Mon employeur savait-il? Est-ce qu'il savait, lorsqu'il m'a engagé, que quelqu'un d'autres seraient-là? Était-ce même prémédité? Une façon de contrer la concurrence? Ou d'essayer de la devancer? Ç'aurait été n'importe qui d'autres, je ne me serais pas vraiment inquiété, mais là... - Bon, on verra plus tard pour la livraison... - Plus tard? Plus tard n'est qu'à une expiration devant. Je pourrais trouver le livre la seconde suivante. Qu'adviendrait-il alors? Devrait-on se battre? Accepterait-il de me le laisser? Le premier qui trouve garde? S'il est capable de mettre de côté la finalité pour ne penser qu'à la recherche, je ne peux pas en faire de même. Déjà dans ma tête différentes issues se forment. Des images que je n'apprécie pas vraiment. Jusqu'où serions-nous prêt à aller?

Il ne doit pas être ici, on devrait chercher dans des endroits moins évidents... - C'est sûr que dans une chambre, ç'aurait été un peu trop facile. - Dis-je en le voyant fouiller une armoire et s'attarder sur quelques sous-vêtements de satin. - Celui-là t'irais bien. - Dis-je en sortant de la pièce au sujet du jupon de femme en soie rouge qu'il observait. Le manoir est grand. Les bibliothèques, nombreuses. Pas assez pour qu'un ordre de rangement en ressorte, mais suffisamment pour permettre de noyer notre prix. Je n'ai qu'une description extérieure du livre. Pas son contenu. Pas son contexte. Pas même le moindre sortilège pour le détecter ou une énergie à lire. Cuir violet. Trois lignes dorées sur la tranche. Merci pour l'information.

Le manoir est composé de trois niveaux. Le rez-de-chaussée qui fait office de cave; un premier niveau, où nous nous trouvons, avec cette chambre, la cuisine et l'espace commun; et enfin l'étage où deux chambres et un bureau s'organisent autour d'un petit balcon. Une lueur vive passe devant les vitraux au-dessus de la porte d'entrée. Les gardes qui continuent leur ronde. Je ne sais pas comment Ama s'y est prit pour entrer, mais à l'évidence ils n'ont eu aucune raison de suspecté une intrusion. Tant qu'on reste discrets, ils ne devraient pas nous ennuyer. La question à se poser est donc la stratégie adoptée. Ces personnes ont-ils choisis une exposition en pleine lumière pour qu'on cherche dans l'ombre? Ou ont-il choisis l'ombre et les subterfuges? Instinctivement, j'aurais tendance à me dire qu'aucune de ces bibliothèques n'offrira la solution. Ce livre a l'air précieux, mais pas d'un point de vue financier. Ce n'est pas une oeuvre d'art qu'on expose à l’œil du néophyte. C'est une pièce que l'on dissimule au regard gourmand. Ama a raison, il doit être rangé dans un endroit moins évident.

Silencieux, je reviens vers lui. - Est-ce qu'on t'as donné d'autres informations qui pourraient nous aider à le trouver? - Une torche défile devant quelques vitres puis disparaît. - Je pense qu'il doit être caché, pas juste rangé dans les étalages à l'air libre. Peut-être une pièce dérobée? Ou une cache avec mécanisme? Tu ne connais pas... un sortilège pour détecter ce genre de choses? - Mes domaines de compétences sont plus utiles pour camoufler que pour détecter ou révéler. Savoir s'il y a quelqu'un dans les parages est une chose. Détecter un objet spécifique parmi tant d'autres n'a rien à voir. - On pourra discuter de quoi en faire une fois qu'on l'aura trouvé. - Je mens, mais moi je sais mentir. Vrai que je ne sais pas encore comment je gérerais la chose lorsqu'on aura trouvé ce foutu bouquin, mais je sais parfaitement ce qu'il en sera fait.

Amadeus ne voulait pas penser au moment où il faudrait penser à séparer le bouquin en deux, ce qui n'allait pas être possible. Il refuserait de se battre contre Khelan, et pas parce qu'il n'était pas sûr d'avoir l'avantage. Il ne l'aurait sûrement pas, mais c'était pas la question. Il pourrait toujours inventer quelque chose pour son employeur, qui pourrait toujours le chasser... Ce serait moins grave que de perdre un ami.

Les mains dans l'armoire, Ama en sortit un jupon et il ne put s'empêcher de faire un commentaire, bien sûr. Et Khelan de répondre, mais... Quelque chose avait changé. L'ambiance s'était un peu refroidie, et c'est avec une certaine mélancolie qu'Ama reposa le sous-vêtement en se parlant à lui-même :

— Certainement...

Se relevant, Amadeus balaya la chambre du regard. Autant dire que le livre ne se trouvait sûrement pas dans les parages. Khelan lui posa la question, mais Amadeus secoua la tête. Du moins, pour la première partie de son interrogatoire.

— Je peux faire quelque chose pour la détection, par contre.

Il alla récupérer son bâton, et le leva en faisant une petite incantation. Un chemin de lumière commença à se profiler, mais s'effaça rapidement, comme si quelque chose venait annuler le sort. Contrarié, Amadeus fronça les sourcils :

— Hahem. Non, je suis pas en panne, c'est pas de ma faute. Et puis je crois que j'ai vu quelque chose.

Il refit le sort, cette fois en observant un endroit bien particulier de la chambre. Le chemin passait à travers un mur, avant de disparaître de nouveau. S'approchant de la cloison, Amadeus l'observa, cherchant des endroits éraflés par une porte, ou...

— Trouvé.

...un objet curieusement patiné et sans trace de poussière, comme ce candélabre. Amadeus l'actionna, et une porte secrète s'ouvrit.

— Après toi.

Et c'était pas du tout parce qu'il risquait d'y avoir des pièges, non... Pour ça, Khelan était le plus doué des deux, non ?

Je peux faire quelque chose pour la détection, par contre. - Tant mieux. Ratisser cet endroit prendrait des jours, et des nuits, et du temps que ni lui ni moi n'avons. Il sort de la chambre pour récupérer son bâton et je le suis. Il le lève, récite son incantation, et un chemin lumineux se forme pour disparaitre presque instantanément. Mon regard, inquiet, se tourne vers les vitraux. Pas de mouvements. - Il parait que ce problème touche un homme sur trois. - M'amusé-je, bien conscient de la situation. - Hahem. Non, je suis pas en panne, c'est pas de ma faute. Et puis je crois que j'ai vu quelque chose. - À nouveau l'incantation vibre dans les airs et le chemin de lumière apparaît. Et disparaît. Mais cette fois, Ama prend la direction d'un mur bien précis. La lumière le traversait.

Il s'agit d'un espace entre deux larges bibliothèques. Au-dessus, l'une des poutres. En-dessous, rien. Au milieu, accrochés aux pierres polies, un bouclier elfique croisé de deux lames finement gravées. Aidé de sa lumière flottante, Ama inspecte les environs immédiats et bouge un objet sur une étagère. Un déclic sonore se fait entendre. Les pierres coulisses et la section au bouclier se dérobe pour laisser voir un corridor sombre. Mon corps tout entier vibre, comme un frisson mais il n'a rien à voir avec le souffle frais qui remonte de la gueule béante. - Après toi. - Je lui lance un sourire pincé et d'une main, appelle sa sphère de lumière à me rejoindre. Si je dois prendre la tête de notre petite procession, autant voir où je mets les pieds.

Le couloir, un espace de tout juste un mètre encadré de paroi de pierres, se prolonge sur une dizaine de mètres. Expert dans le domaine, je mets mes yeux et mes sens au service de notre survie et observe chaque détail à la recherche du moindre piège. J'en décèle deux. Une pierre de pression au sol aurait dû enclencher la projection d'une série de flèches. Un second, plus vicieux, consiste en une marque magique comme carbonisée dans un mur. Un sceau d'invocation qui aurait dû nous gazer de poison. Il aura suffit d'éviter la plaque de pression et gratter un peu la marque magique pour les éviter. Avant de déboucher sur quelque chose de surprenant: l'extérieur.

L'air frais que j'ai sentis n'avait rien d'extraordinaire. Il provenait simplement du flanc de la falaise sur laquelle Solitude repose. Le couloir nous mène à un chemin escarpé, un sentier presque invisible dans la structure rocheuse. Ici, plus besoin de se soucier des gardes. Même si la lumière flotte toujours autour de nous malgré la lune au-dessus de nos têtes, les murs de la ville nous surplombes. Ils seraient incapables de nous apercevoir. Nous ne sommes visibles que d'en bas, et le brouillard suffit largement à nous camoufler. - Fait attention à où tu mets les pieds. Le sol est glissant. - Et en pente. Solitude est un endroit humide. La roche suinte et le sentier descend. La ville est perchée sur un promontoire de pierre qui prolonge une haute colline. Un pied rocheux stabilise le tout, formant une immense arche naturelle. Nous longeons la ville et l'arche, et déjà je parviens à devenir que notre destination se trouve un peu plus bas, au cœur de la roche.

Le sentier est un piège en soit. Descendant, glissant, il suffirait de tomber pour que l'une des pierres acérées visite l'intérieur de notre crâne. Heureusement, je sais comment manœuvrer dans ce genre d'instable environnement. Mon pas est sûr et léger. Et Ama peut agripper mon épaule pour ne pas sombrer. Je lui en fais le signe en la tapotant comme je l'ai fais si souvent par le passé. Notre descente dure quelques bonnes minutes au cours desquelles nous pouvons entendre les chants ridicules de la Guilde des Bardes dans le lointain, comme les voix lugubres et trop aiguës d'un dieu à achever; ou encore les voix tremblantes et fortes de gardes frigorifiés qui s'ennuyaient sur les murailles. Et au bout de ces cinq minutes, une nouvelle ouverture dans la roche.

Celle-ci est plus artisanale, comme creusée à la main et à la pioche. Le sol est plus terreux que rocheux. Boueux même, et clairement plus glissant. Elle s'enfonce plus rapidement et, même moi, je dois me tenir aux parois pour rester debout. Une nécessité qui me met sur mes gardes. Jamais deux sans trois, souffle la petite voix de ma conscience. La pénombre est grande. Le bout de la galerie parait invisible, comme s'il débouchait sur le néant du centre du monde. C'est probablement ça qui m'a fait réagir. Ça et mes yeux habitués à évoluer dans le noir qui ont capté un discret reflet. - Oh shit! - M'exclamé-je alors que le sol avait raison de mon équilibre. Je glisse, Ama emporté dans ma chute par simple gravité. Avec difficulté, je parviens à rester debout ou presque et lorsque je sens l'air se faire glacial, je comprends ce qui se passe. Un sortilège de dissimulation par l'ombre.

Ma main agrippe la pierre et mes doigts en souffrent mais ma glissade s'arrête instantanément. Pas celle d'Ama qui passe devant moi en direction du nuage sombre. De mon autre main, j'attrape fermement la sienne, mais il travers le nuage qui cachait ni plus ni moins qu'un profond puit creusé au fond duquel d'épaisses et aiguisés piques s'extirpent du sol. Heureusement, le balancement fait qu'il revient vers moi, et son poids via l'inertie nous emporte dans le sens opposé. Je ne me suis pas agrippé à  n'importe quelle pierre. Je me suis accroché à l'angle d'une galerie plus discrète, le vrai chemin qui bifurquait à peine un mètre avant le précipice. Nous roulons à l'intérieur avec lourdeur. La discrétion n'est plus de rigueur, mais nous sommes seuls ici bas. Inutile de garder le silence. D'ailleurs, mon grognement manque de subtilité. Ama m'est tombé dessus et sa nouvelle masse musculaire, elle aussi, manque de légèreté. - Jamais deux sans trois. -Dis-je à haute voix avant de lever le nez. Le reflet que j'avais remarqué, il s'agit d'une vieille torche éteinte à l'armature en métal rouillé. La galerie qui semble se réduire à vu d’œil, s'enfonce un peu plus loin. - Bon. Je suppose qu'on est dans la bonne direction. - Il n'y en a de toute façon pas d'autres.

Amadeus s'était tourné avec une mine faussement outrée quand Khelan s'était doucement moqué de sa magie en la comparant à... disons, son autre bâton. Il ne lui en tenait pas rigueur, il trouvait même ça drôle, une petite plaisanterie pour détendre l'atmosphère alors qu'ils étaient mandatés pour voler le même objet. Ça n'allait pas finir dans les rires, cette histoire, et il le savait, alors il prenait tout le positif qu'on lui tendait en redoutant le reste.

Une porte s'ouvrit entre deux bibliothèques, et Amadeus fit signe à Khelan de passer devant. Simple calcul : ce dernier était plus doué pour désamorcer d'éventuels pièges, qui ne manquèrent pas à l'appel. Ama contourna la pierre de pression en marchant dans les pas de son partenaire, et attendit qu'il gratte la rune pour le suivre jusqu'à... l'extérieur.

C'est quand même se donner beaucoup de mal pour un bouquin, songea Amadeus, prenant désormais toute la mesure de la valeur de l'objet. Du danger qu'il représentait sûrement aussi. S'il était bien au bout de ce chemin (ce qui n'était pas dit d'ailleurs, c'était un wild guess), alors ce livre était bien plus précieux qu'il n'aurait pu l'imaginer. Il se demanda aussi l'espace d'un instant ce que Haneus Metrian, son employeur, ferait avec. Rien de bon, lui semblait-il.

Ama s'accrocha à Khelan pour arpenter le petit chemin, qui au lieu de sentir la noisette était surtout glissant comme pas possible. Il ne manquerait plus qu'Amadeus ne se casse le coccyx en tombant... ou pire. Le mage n'entendait que de façon très lointaine la ville : il était bien trop concentré sur ses pas pour y prêter attention. Il ne vit même la grotte que quand Khelan et lui y entrèrent.

La pénombre était grande, et ne disait rien qui vaille à Amadeus. En acceptant le job, il savait que ça n'allait pas être une partie de plaisir, mais peut-être pas à ce point-là. Ou était-ce la présence de Khelan qui le paralysait quelque part ? Le fait de savoir le mercenaire présent avait pour conséquence fâcheuse qu'il relâchait sa propre attention ? Il n'en savait rien, et il arrêta de se poser la question quand il glissa sur la boue de la grotte, et fila tout droit en direction de ce qui était un autre piège.

— KHELAN !

Les réflexes avaient pris le pas sur le reste, et Amadeus tendit une main désespérée vers Khelan, qui heureusement l'attrapa au vol. Il ne savait pas encore à quel piège il avait échappé, mais il avait compris qu'encore une fois, il lui devait la vie.

La magie de la physique fait que les deux hommes partent en arrière dans un autre boyau de pierre, bien plus discret que cette pente boueuse. Ils y tombent et tourneboulent, jusqu'à se retrouver à l'horizontale. Pas que ce soit la première fois, loin de là, mais généralement c'était dans des circonstances plus agréables. Laissant échapper un soupir de soulagement, Amadeus se redressa jusqu'à être à califourchon sur Khelan.

— J'espère que t'as raison.

Amadeus esquissa un léger sourire en regardant Khelan de toute sa hauteur, mais une ombre passa derrière ses yeux. Il le libéra de son poids qui avait en effet augmenté pendant ces deux années. Il s'était encroûté à vivre en sédentaire, ça ne faisait aucun doute maintenant. Et Khelan faisait presque partie d'une autre vie.

Avec un nouveau soupir, plus fatigué qu'autre chose, Amadeus fit quelques pas dans la galerie. S'il y avait un moment où il pouvait exprimer sa reconnaissance pour toutes les fois où Khelan lui avait sauvé les miches, c'était maintenant, parce qu'une fois qu'ils mettraient la main sur le livre, ce serait une autre histoire. Pourtant, ses lèvres refusèrent de se desceller. Du moins, pas pour ça. Amadeus se tourna vers son compagnon avec une mine inquiète et grave :

— Rien de cassé, sinon ? Désolé de pas y avoir pensé avant... Je dois être distrait.

Naaan, tu crois ? Comment ne pouvait-il pas l'être alors qu'il allait sûremnt devoir se battre ou au moins négocier âprement la possession d'un livre qu'ils ne pouvaient pas partager ? S'il y avait bien une personne qu'Ama refusait d'affronter, c'était bien Khelan, et ce n'était pas (uniquement) par peur de perdre lamentablement.