Forgotten land. || Ft. Ama

Aussitôt l'injonction énoncée, j'en fais de même. Nous avons été catapultés ici par surprise, alors les effets personnels sont peu nombreux. J'enfile mon armure et liste méthodiquement mes armes pour ne rien laisser derrière. Le contact du tissu et du cuir sur la ligne blanche produit une irritation particulièrement désagréable, mais rien en comparaison à cette douleur cuisante qui la parcours. Mes doigts ont beau être illuminés de blanc, je sais que leur peau est d'un rouge écarlate sous la lumière.

Quelques minutes nous suffisent à tout mettre en ordre. - Ça te fait pas mal !? - Si. Atrocement. - Dis-je, pour une fois sans diminuer quoi que ce soit. - Mais Azura m'utilise comme une ancre et ça n'est pas sans conséquences. - Cette explication m'est venue comme un instinct. Elle ne m'a rien dit, je n'ai rien compris, mais comme souvent quand ses dons me touchent, la clairvoyance s'impose. Je lui tends l'autre main. - Je doute qu'elle se préoccupe de ton confort, ou même de si tu restes ici, alors ne me lâche surtout pas. - J'attends qu'il l'attrape, la serre, et après une seconde d'hésitation l'attire contre moi pour le piéger dans l'étreinte crispée de mon bras. Je lève la main de lumière au-dessus de nos tête. - Reine du ciel nocturne, je suis prêt. - Soufflé-je. Et alors, tout se met à trembler.

Ce n'est pas le sol qui tremble, les murs qui bougent ou le monde qui s'écroule, mais tout semble vibrer. Comme une image superposée au reste. Un mirage, instable. La lumière gagne en puissance et mes doigts me font mal. Le plafond s'effondre en une multitude de fragments, comme un miroir qui explose, et le ciel se rapproche. La maison s'aplatit comme un vieux bout de parchemin autour de nous et le sol devient chemin d'étoiles. Géants dans l'infini de l'entre-mondes, la voute céleste devient rapidement le plafond de l'univers, de plus en plus proche, de plus en plus sombre. Et puis une étoile au centre se met à briller plus que les autres. Un point de lumière, au centre du néant. Une issue miraculeuse dans laquelle nous nous introduisons. Le néant s'efface en un flash blanc et la lourdeur de la gravité nous frappe lorsque le sol rocheux s'enfonce dans mon dos. Sous le choc, je perds Amadeus et roule sur une pente inégale avant d'ouvrir les yeux, le souffle coupé.

La voute rocheuse s'élève jusqu'à une ouverture irrégulière. Un trou dans le plafond, offrant la vue d'un ciel bleu parfait, éclairé d'un soleil invisible. Autour de moi la grotte est comme dans mon souvenir, mais sa végétation a séché, cuite par un astre qui n'est jamais descendu si profond dans la terre. - Amad.. - Tenté-je de crier, interrompu par la douleur qui secoue mon corps. Le relais d'Azura s'étiole, et la satisfaction de la sentir à nouveau à portée de pensée n'a d'égale que la souffrance que son touché brûlant me laisse. Je me sens pâle, parcouru de sueurs froides et la peau sensible comme usée avec une lime à bois. Un tremblement maladif me prend. L'inconscience me guette. Au moins, nous sommes rentrés.

On va se sortir d'ici. Tu nous as ramené... - Sa voix est si lointaine. Comme un écho. J'ai l'impression d'être sous l'eau. Epuisé, seules les effluves de transpiration me parviennent lorsqu'il me soulève. Les parois rocheuses défilent dans un flou artistique des plus perturbant et je ne réalise être à l'air libre que de longues minutes après avoir réellement quitté la grotte. Le froid me saisit. Un frisson me parcourt et ma vision se stabilise. Les étendues neigeuses de Bordeciel s'éveillent à mon regard. Amadeus nous abrite du vent sous un rocher et je m'appui contre la paroi, les jambes faibles. - Je sais qu'il faut que tu te reposes, mais si tu peux tenir jusqu'à une auberge... - Donne-moi une minute.

Utiliser la magie a toujours été plus drainant pour moi. Peut-être une variable raciale. Je peux courir durant toute une journée et encore être capable de me battre, mais utiliser plusieurs sortilèges et une sieste devient nécessaire. Je suppose que c'est pire si je deviens l'objet de ce sortilège? C'était nécessaire, je n'en regrette rien, mais on ne peut pas rester là comme ça au risque de geler sur place. Je lui ai demandé une minute, j'en prends cinq, mais finalement je parviens à conserver mes esprits. Marcher, oui, mais avec son aide. Je lui suggère de remonter à Solitude. Que l'auberge dans laquelle je logeais avait peut-être encore ma chambre, mes affaires. De toute façon, il s'agit probablement du point de chute le plus proche, et je connais bien le patron.

Aux portes de la ville, les gardes ont de bonnes raisons de se montrer soupçonneux, mais ils finissent par nous laisser entrer sans vraiment nous retenir. Quelques pas de plus suffisent à nous mettre au chaud et Ama me dépose sur une chaise à coussins, devant la cheminée. Rapidement, l'aubergiste nous rejoins et ralentit la cadence en voyant mon visage. - Est-ce que vous allez bien? - Ça ira. J'ai... J'ai dû partir en urgence l'autre soir et j'ai laissé des affaires. - Oui, j'ai tout mis de côté. Habituellement les pertes et oublis sont revendus, mais pour vous c'est différent. - Parfois je me demande s'il fait ça par courtoisie ou par peur de se retrouver empalé dans la cave. J'acquiesce malgré tout et lui demande quelque chose de chaud à boire, et il fait volte-face. Un regard lancé à Ama, assit en face de moi, et je force un sourire.

L'auberge est aussi bruyante que dans mon souvenir, mais à côté du plan daedrique au silence poisseux, ces voix fortes sont une musique à mes oreilles. Le son des coupes. Les conversations sur les récoltes, la chasse et les ragots du coin. L'odeur du ragout qui remonte de la cuisine. Le crépitement des flammes. La chaleur, rassurante et familière. L'espace d'un instant, la sensation de normalité m'enveloppe comme un doux cocon, et puis une voix braillarde me parvient. - Et tu as entendu? À Morthal? - Ouais, c'est la sixième attaque déjà. On se demande ce que le Yarl fout!