Le chat et la souris || feat. Khelan

L’adaptabilité a toujours été l’une de mes forces il faut l’admettre. J’ai toujours su trouver une façon de tourner une situation à mon avantage et c’est une bonne chose assurément parce que j’aurais été un bien mauvais voleur dans le cas contraire. Ce n’est pas si simple qu’il y paraît de soustraire à qui ne le saura pas son bien le plus précieux. Souvent quelque chose de brillant, majoritairement de l’argent… Autrement dit rien qui sera de la plus grande subtilité une fois subtilisé en tintant dans mes poches ou ma bourse. Raison pour laquelle j’ai toujours pris mon temps pour me préparer à réaliser une petite entourloupe lucrative. Rien de bien méchant, je ne fais pas dans ça, mais je reste un voleur. Et donc forcément lorsque je marchais et que j’ai entendu le doux bruit des pièces qui s'entrechoquent au passage de chevaux bien pressés… je n’ai pas pu résister à l’envie de voir quel plan je pourrais élaborer pour en faire mon gagne pain de la soirée. Il est tard, c’est aidant. Surtout pour un homme de ma carrure qu’il est difficile de rater même si j’ai développé mes techniques avec le temps. Suffisamment tard pour que les rues ne soient pas bondées à l’excès et que j’arrive à vite trouver la destination finale du chargement. Mes yeux dévorent avidement les poches d’or qui se passent de mains en mains avant que le galop des chevaux reprenne en écho au loin. Un fin sourire s’étire sur mes lèvres et je poursuis ma marche, rôdant près du bâtiment pour en explorer les différentes entrées.

J’en profite pour resserrer à mes bras les brassards de cuir qui s’y trouvent, la ceinture à ma taille, contre mon torse… Tout ce qui pourrait malencontreusement me causer des ennuis en se détachant au mauvais moment si je dois filer en vitesse. On ne l’espère jamais, mais mieux vaut être prêt. Je laisse mon regard glisser sur le sol de la ruelle, humide, sur les portes et fenêtres des bâtiments environnants. Notant les pièces éclairées et les sombres pour trouver les témoins potentiels. Je ne fais rien à moitié et c’est ce qui m’a toujours sauvé même si parfois la hâte est de mise et qu’on ne peut pas toujours éviter de se faire écorcher dans le processus, mais pas ce soir. Ce soir je repartirai plus riche que je l’étais et la guilde n’en sera que plus heureuse.

Je fais un petit tour de quartier, sortant de la ruelle en faisant l’inventaire de mes outils à disposition. Hum. Oui, je sais comment je vais entrer. Et ceci déterminé je garde le pas, garde le rythme, et m’efforce de ne pas me faire remarquer de trop lorsque je me glisse de nouveau dans la petite ruelle. Mes doigts effleurent en douceur ma cuisse pour trouver le petit couteau qui s’y trouve. De quoi ouvrir la voie sans faire trop de bruit je l’espère. Je le serre dans ma main en avançant de petits pas, jetant un bref coup d'œil derrière-moi avant de m’avancer vers la fenêtre que j’ai ciblé pour m’y stopper. Sombre en apparence et surtout couverte d’une planche pas trop difficile à retirer. Comme si ça allait suffir à protéger quoi que ce soit. Ensuite il ne restera qu’à trouver les sacs sans tomber sur leur nouveau propriétaire.

Solitude à cette époque de l'année est.. Solitude est froide. Toute l'année. Si proche de la bordure Nord du pays, des grandes étendues d'eaux et de glaces, des montagnes enneigées, Solitude fait toujours frissonner le commun des mortels. Il est d'ailleurs particulièrement amusant de comparer Solitude et Fordhiver, la capitale se situant un peu plus au Nord reste la plupart du temps agréable et ensoleillée quand le fief des mages de Bordeciel est constamment perdu dans un blizzard de neige comme si le ciel s'était enrobé d'une nuit perpétuelle. Mais peut-être s'agit-il des conséquences de leurs magies. D'autres plus érudits que moi pourraient probablement en attester. Moi... Moi je ne fais que me faufiler entre les ombres, la lame aiguisée et le pas si léger qu'il flotte tout juste au-dessus de la poussière.

Je brave les murailles de Solitude ce soir non pas par amour de la politique et des exécutions publiques, mais bien parce qu'un Sacrement noir a été opéré. La Confrérie a été contactée, et c'est moi qu'Astrid a décidé d'envoyer. Une jeune femme de la noblesse, au pied du mur d'un mariage forcé que son père verra se dérouler, quoi qu'il en coute, avec un jeune impérial. La jeune femme n'a rien contre l'homme en question, elle ne l'a rencontré qu'une seule fois après tout, mais ce mariage imposé et le comportement de son père ne sont plus tolérables pour elle. La vérité, c'est que les justifications qu'elle m'a débité pendant une bonne heure m'importent peu. Le sacrément noir a été exécuté, un accord a été scellé. Que ses raisons soient légitimes ou seulement psalmodiées pour sa bonne conscience, le sang coulera ce soir. Voilà deux jours et deux nuits que j'observe le quartier et cette maison en particulier. Je vais et viens tel un simple livreur, et disparais lorsque les gardes ont le dos tourné. J'ai inspecté la moindre issue, calculés et mémorisés les rondes et rythmes de surveillance. L'heure moyen du coucher des habitants, celle à laquelle cet homme sort pisser dans son jardin plutôt qu'utiliser le pot de chambre pour éviter de déranger son épouse, celle à laquelle le boulanger émerge pour aller pétrir sa pâte, celle à laquelle ce chat noir traverse le toit et anime d'aboiements incessants le chien errant qui a trouvé abris dans le stock de bois de chauffage de l'une des bâtisses. J'ai tant entendu les répétitions de l'école des bardes que je pourrai tout aussi bien les rejoindre, pourtant je n'en fais rien. Je hante les ombres, arpente le balcon d'une maison actuellement vide, et j'observe. En silence. Oiseau de proie prêt à fondre. Le bec avide de sang. Jusqu'à l'imprévu.

Une silhouette encapuchonnée, les brassards de cuir, les larges épaules et le pas presque aussi silencieux que le mien. Presque. Rapide, agile, discret. Ma tête se penche sensiblement sur le côté alors que j'observe sa démarche étrangement familière. Pas un assassin, pas un bête cambrioleur non plus. Ses gestes trahissent une expérience et un certain savoir, de ceux qui affichent au-dessus de sa tête une pancarte lumineuse, et le parfum croupi du port de Faillaise. Il tourne la tête, observe les alentours, et si son visage demeure dans l'ombre de sa capuche, la lune éclaire brièvement les dreadlocks que forment ses cheveux bruns, et une pierre tombe dans mon estomac. Avant que l'agacement crispe ma mâchoire.

Ni une ni deux, j'abandonne mon balcon et me laisse tomber le long de la façade cachée, bondissant de rebord en rebord, jusqu'à atteindre le sol. Se faisant, mes bottes rejoignent la terre et un peu de paille, sans produire le moindre son. L'ombre m'accueille à nouveau, reflet brillants dans des yeux confondus avec la nuit, jusqu'à me retrouver dans son dos. De là, ce n'est plus le souvenir des eaux grises de Faillaise qui anime mon imagination, mais bien le musc familier au combien mémorisé d'un corps plus d'une fois exploré. Désormais dans son dos telle une ombre sanguinaire, c'est seulement à quelques dizaines de centimètres de son oreille, assez proche pour le faire frissonner mais pas tant qu'il pourrait me blesser dans un malheureux reflexe; que je dessoude enfin les lèvres. - De toutes les villes, de toutes les sombres ruelles de ce pays... - Je ne laisse pas retomber ma capuche noire lorsqu'il se retourne, mais oriente juste assez mon visage pour que les rayons lunaires lui en révèlent quelques traits. - Es-tu venu au monde pour me déranger, ou me tenter ? Probablement les deux. Après tout, tu es bien là.

Ma main s’avance minutieusement vers la planche, élément premier de ce vol improvisé, où je glisse la lame du couteau en me préparant à forcer pour la détacher tout en douceur. Je teste la résistance, l’espacement, la profondeur. Cherchant à savoir à quel point elle est solidement agrippée pour minimiser le bruit, parce qu’il y en aura toujours un peu malgré mon doigté doté d’une expertise non négligeable. Un plan parfait qui ne pouvait que fonctionner… jusqu’à ce que je sente ce passage d’air dans mon dos, cette masse silencieuse qui s’y est glissé et me fait frissonner. Mes muscles se tendent, ma prise se resserre sur le couteau. C’est un jeu dangereux que de prendre ainsi les gens par surprise, mais ce jeu n’est pas joué par un simple gardien du butin lamba qui aurait posé les yeux sur moi. L’approche est bien trop calculée, le silence bien trop palpable pour que j’aie pu remarquer quoi que ce soit même si j’ai d’ordinaire l’oreille plutôt fine. Cette personne, qui qu’elle soit, se fond dans les ombres en n’y faisant qu’un et donc tout geste brusque de ma part risque de me couter cher.

Je retiens ma respiration, prêt à tirer sur le couteau, jusqu’à entendre sa voix comme une douce caresse à mon oreille. Un sourire étire mes lèvres un bref instant puis s’efface alors que je retire lentement l’arme du crime de son emplacement pour pouvoir me retourner et observer ce que la noirceur voudra bien me montrer de ses traits que je connais par cœur. Mes yeux n’arrivent d’ailleurs à se retenir d’explorer son corps, me remémorant tous ces bons moments que je le sais ne pas non plus avoir oublié. Ses propos en portent sans peine le poids à la mention de cette tentation que je semble pour lui représenter. J’en suis flatté… et satisfait, je l’admets. Ce n’est pas tout membre de la guilde des voleurs qui peut se vanter d’avoir pu faire succomber son ennemi juré, moi inclus d’ailleurs si je veux garder ma tête là où elle se trouve. Cela ne m’empêche pas de dangereusement jouer de ce feu brûlant qui s’épanche en mes tripes au simple son de sa voix, sensation au combien réconfortante en des temps parfois si sombres. Je comble cette distance entre nous, effleurant ses lèvres pour laisser ma réponse s’y échouer.

« Te tenter est mon plaisir coupable, ce serait dommage de ne pas y céder. »

Puis je me recule, prenant le temps de ranger mon couteau. Pas de cambriolage pour ce soir je le crains, mais tout ceci est en tout point plus intéressant, soyons honnêtes.

« Et si tu te trouves aussi ici je crois que nous pouvons dire que c’est un dérangement commun même si je doute fortement que notre objectif soit le même. Je serais bien trop honoré d’avoir fait de toi tout ce que les vôtres rebutez. Je doute aussi que rester ici soit une bonne idée, mais maintenant que nous nous sommes trouvés par le plus grand des hasard il serait dommage de décevoir le destin et ne pas en profiter tu ne crois pas? »

Je suis curieux, c’est plus fort que moi. Si je le laisse filer sans avoir gratté quelques informations et satisfait quelques envies je m’en voudrai, je le sais. La vie est trop courte.

Te tenter est mon plaisir coupable, ce serait dommage de ne pas y céder. - La chaleur de son souffle brise la froide monotonie d'un voile opaque. Un sourire aiguise mes lèvres sous l'ombre de ma capuche. Démon. Que fait-il ici, exactement ? Durant mes heures de surveillance, je ne l'ai pas remarqué jusqu'à présent. Et j'aurais dû. J'aurais tout autant dû remarquer un quelconque marquage sur la maison elle-même, et il n'en est rien. Les voleurs se laissent des traces, ne serait-ce que pour indiquer une future cible ou une maison déjà vidée. Si la Guilde des voleurs avait des vues sur cette demeure, une rune aurait été laissée sur un endroit discret de sa façade. Alors, quoi ? Une pulsion ? Un vol d'opportunité ? En voilà bien une qui ne m'arrange pas vraiment.

... Je doute aussi que rester ici soit une bonne idée, mais maintenant que nous nous sommes trouvés par le plus grand des hasard il serait dommage de décevoir le destin et ne pas en profiter tu ne crois pas? - Un œil jeté à mon entrée de choix, un peu plus haut, aux deux issues de la ruelle. Personne, pour le moment. - Le destin a une étrange façon de se faire entendre, mais j'apprécierais qu'il se manifeste à des moments plus opportuns. Tu peux partir si tu veux. Moi... La nuit vient tout juste de commencer. - On n'y prendra pas à dire à haute voix que j'ai une cible à abattre, mais il connait mon allégeance à la Confrérie noire. Il saura sans mal décrypter le sang à couler dans mes mots. L'odeur du cuir. Le parfum humide dans ses cheveux. Le reflet lunaire dans ses yeux bleus. - Libre à toi de me rejoindre lorsque j'en aurai terminé. - Je ne lui imposerai pas un tel spectacle, autant parce que je sais les voleurs de la guilde frileux à l'idée de prendre une vie, un mort ne rapport pas d'or, mais surtout parce que chaque mort a quelque chose de sacré. Le résultat d'un rituel démarré par cette jeune femme, que ma main doit conclure. Il faut parfois agir dans la lumière, aux yeux de tous, mais avoir un spectateur dans mon ombre... L'idée me donne l'impression de souiller une œuvre d'art. Mais peut-être les idéaux de certains de mes compatriotes entament-ils ma santé mentale ? - Je n'en ai pas pour longtemps. Et je n'ai que faire de leurs babioles. - Mon pouce et mon index saisissent son menton d'un geste presque doux. Presque. Mon regard embrase le sien, et je disparais aussitôt.

De quelques pas, j'arpente déjà la façade de la maison où je me trouvais initialement. Un bond, puis un autre. Le balcon. Je saute et c'est comme si une ombre ouvrait ses ailes pour passer au balcon d'en face. Une dague s'insémine entre les deux battants de la fenêtre, soulève le petit loquet. En deux souffles et un bruissement si infime qu'il pourrait s'agir d'un courant d'air, je suis à l'intérieur. Une chambre bien décorée m'accueille, le souffle d'un homme endormi juste après. Je fais un pas en avant et aucun bruit ne s'en élève. Même le plancher ne daigne pas me trahir. Un nouveau pas, et c'est l'épaisseur d'un tapis qui vient amortir mes bottes. La pointe de ma dague repousse doucement le rideau flottant du lit à baldaquin pour révéler une forme allongée. Pourtant, dans la lueur de la lune, il n'y a que du tissu, roulé en boule. Un froncement de sourcils. Pourtant, quelqu'un respire assez fort pour que je l'entende. Il suffirait d'un rien pour que des ronflements s'élèvent. Un pas en arrière, j'étudies un peu mieux la chambre. Une bougie éteinte. Quelques sacs au sol. Un miroir qui me renvoie ma propre silhouette. Et les pieds d'une chaise, affublés de deux pieds supplémentaires.

Là, dans l'angle et l'ombre de la fenêtre, je distingue une silhouette légèrement avachie sur elle-même, le ventre rond comme un gros coussin, la tête blonde comme de la neige sale. Ma cible. Son épais cou pulsant d'un sang prêt à jaillir. Que cache-t-il, pour ainsi attendre de la visite ? Sait-il ce que sa propre fille a fait, ou s'agit-il d'intrigues qui m'indiffèrent ? Un sifflement fend l'air. La lame tranche telle une feuille de papier, avant que le sang ne roule, avant que la douleur ne s'éveille, avant que l'homme n'ouvre les yeux. Il n'a pas le temps de crier, de bouger ou de se défendre. Ma dague s'enfonce sous sa bouche et remonte entre ses yeux. L'étincelle de folie et d'urgence meurt dans ses yeux. Le sang cascade sur ses épaules, éclabousse avec vigueur contre le mur. Ainsi positionné, pas une seule goutte ne vient perler le noir de ma tenue. Et finalement, au bout de quelques secondes, la tension de ses muscles abandonne. Les yeux se vident. Le sang continue passivement de couler. Sa tête demeure en équilibre, seulement tenue par ma lame que je retire et essuie sur sa jambe. Un souffle m'échappe. La conclusion offerte. La mission accomplie.

La main trempée dans le sang et apposée contre le mur, j'y laisse une marque qu'aucun n'ignorera avant de m'essuyer aux rideaux et de quitter la petite chambre. La porte est refermée avec douceur, comme si j'avais peur de le réveiller. Il n'y a personne d'autre dans la maison, comme si elle avait été évacuée, ou investie juste pour cette nuit dans le plus grand secret. La main aux sillons encore rougit, malgré tout bien assez rapproprie, je rejoins la porte qui donne sur la ruelle. Le verrou rend l'âme et un discret grincement alerte Thrynn, à l'extérieur, que la voie est libre. - Ne fait pas attention au désordre. À l'évidence, personne n'ai daigné faire le ménage ici depuis une éternité.

Je note son œil qui s’élève sous le clair de lune, supposant donc que notre cible se trouve au même endroit. Quelle douce délusion a bercé mes pensées à l’idée que je pourrais empêcher un peu de sang de se voir verser ce soir en guidant nos pas loin de cette sombre ruelle. Une invitation qu’il n’a forcément pu que refuser tout comme je n’ai pu m’empêcher de me laisser tenter par l’appât du gain au son si familier de la richesse d’autrui qui ne demande qu’à se faire voler. Bien, voilà qui peut donc améliorer ou compliquer les choses, tout dépend de la façon dont on analyse la situation. Le sang souillera cette demeure dans les secondes qui suivent, temps qu’il nous reste avant qu’un passage impromptu éveille une quelconque forme de soupçon concernant notre présence ici, que je le veuille ou non. L’invitation reste cependant lancée à ce que nous ayons tous les deux gain de cause dans le processus sans que je n’en vienne à retirer cette pauvre planche sur laquelle je n’ai pas encore eu le temps de m’acharner. Je serais bien stupide de refuser. J’ai déjà cotisé à l’idée d’accepter qu’un long sillon de sang suivra toujours ses pas lorsque je me suis perdu dans ses bras dans tous les cas. Il est ce qu’il est, je suis ce que je suis, et un débat ne changera pas qu’en cette nuit sa lame tranchera sa proie que mon vol expliquera. C’est un doux-amer travail d’équipe qui ne me plait pas forcément, mais je suis disons trop curieux des dernières nouvelles pour simplement tourner les talons et oublier que nos chemins se sont croisés. Il sait que je serai toujours là. Il le verra dans mon regard soutenant le sien jusqu’à ce qu’il retrouve les ombres l’embrassant sans plus tarder pour le faire disparaître de nouveau.

Je glisse ma main à ma poche pour en sortir une pièce et la faire voltiger entre mes doigts, l’oreille tendue, mais bien évidemment je n’entends rien. Rien avant le grincement m’indiquant que la voie est libre. D’un geste habile j’attrape la pièce, la lui lançant en entrant à l’intérieur du bâtiment et lui laissant le loisir de fermer derrière moi. Ne comptant pas m’attarder plus longtemps que nécessaire, j’observe rapidement ce qui pourrait avoir une quelconque valeur outre les sacs que je m’efforce de trouver et oh ciel ce n’est pas tout ce que je trouve lorsque je monte à l’étage. Une large grimace étire mes traits devant l'œuvre d’art carmine souillant le mur et le corps en étant à l’origine. Je ne m’y ferai jamais, même si j’ai eu la chance de ne pas voir la lueur au fond de regard s’éteindre en fixant le mien. Mes yeux se détournent sans s’y attarder plus que nécessaire, trouvant finalement ce que je cherche et glissant ce qui s’avère être deux bourses bien costaudes dans le sac à ma taille.

« Maintenant que tu as terminé de refaire la décoration et que j’ai trouvé ce que je cherchais, daigneras-tu m’accorder un peu de temps ou as-tu d’autres murs à repeindre cette nuit? Je ne doute pas que tu as déjà trouvé un environnement au calme dans les environs où nous pourrons… discuter. »

J’ai été trop peu organisé ce soir même si je ne doute pas que mon opération en solitaire aurait été un succès, mais lui ne l’est jamais. Il a dû être tout près des jours durant pour trouver le bon moment, celui où il pourrait laisser le silence pour seul témoin de son acte.

« Tu l’as dit toi-même, la nuit ne fait que commencer. »

Et tu ne dirais pas non à quelques informations concernant la personne que tu viens de gracieusement libérer de ses dernières possessions pour fournir quelques explications à la guilde à propos de cette liberté que tu as prise d’aller les lui dérober.

La pièce d'or est attrapée avec dextérité, entre deux doigts. Un fin sourire glisse sur mes lèvres. - Tout ça pour une porte ? Voilà qui est rentable. - On ignorera les acrobaties, le cadavre et la discrétion avec laquelle je suis parvenu à ouvrir cette porte. Mon dédommagement devrait peser un peu plus lourd dans ma poche, mais je n'en dis rien et fourre l'unique pièce dans la petite bourse à ma ceinture. Je referme dans son sillage et replace le verrou intérieur au cas où quelqu'un s'amuserait à tester l'issue depuis la ruelle. La pièce principale dans laquelle nous nous trouvons est poussiéreuse, quelques toiles d'araignées dans les angles les plus sombres. Seule la table a l'air d'avoir été nettoyée, et quelques braises brillent dans l'âtre de la cheminée surélevée, là où poêles et casseroles ont plus d'une fois séjournées. On peut retracer les allées et venues de ma cible en observant les sillons de ses pas sur le sol, poussière soulevée. Il a mangé ici, s'est réchauffé auprès du feu, avant de monter dormir. Un cycle similaire depuis que je l'observe.

Pendant que Thrynn fait le tour de l'habitation en quête de son trésor, j'arpente la pièce du bas et ravis ma langue d'une belle pomme rouge. Je ne m'attarde jamais aussi longtemps sur les lieux. Etonnamment, la patience nécessaire pour attendre Thrynn et débarrasser le plancher m'a l'air plus lourde que je l'imaginais. Finalement, je l'entends avant de le voir descendre les escaliers, le sac sensiblement plus lourd qu'il ne l'était en entrant. - Maintenant que tu as terminé de refaire la décoration et que j’ai trouvé ce que je cherchais, daigneras-tu m’accorder un peu de temps ou as-tu d’autres murs à repeindre cette nuit? Je ne doute pas que tu as déjà trouvé un environnement au calme dans les environs où nous pourrons… discuter. Tu l’as dit toi-même, la nuit ne fait que commencer. - Un haussement d'épaules. Il n'est pas dans mes habitudes de parler de mes missions, mais je n'ai jamais eu de mal à mentionner leur absence. - Il était ma seule tâche, ce soir. Et normalement je quitterais la ville au couvert de la nuit, mais vu l'état de cet endroit.. Personne ne réalisera sa mort avant des jours. Suis-moi.

Prenant la tête de cette petite excursion, j'avise la ruelle avant de pleinement sortir de la maison, laisse passer Thrynn, et m'assure que la porte est bien verrouillée avant de démarrer. À une heure pareille, même les habitants de Solitude aurait à répondre de leur balade aux gardes, par simple sécurité, aussi je préfère un rythme discret, mais soutenu. Je fais confiance à Thrynn pour ne pas attirer l'attention, il connait son boulot comme je connais le mien. En voilà au moins dont je n'ai pas à m'inquiéter. Comme deux ombres, nous remontons la ruelle en direction des murs d'enceintes et en quelques gestes silencieux, j'indique à Thrynn la direction à prendre. Aussitôt sûr qu'il a compris, je prends mon élan et bondit d'une caisse à une autre avant de suspendre à une meurtrière. Profitant du momentum, je me balance pour m'accroupir sur l'une des gouttières qui évacuent les pluies du haut mur, juste en-dessous du chemin de ronde que je surveille du coin de l'œil pour m'assurer que les gardes sont assez loin pour nous ignorer. De là, il me suffit de bien viser et je me jette en avant, comme un plongeur prêt à fendre l'eau, mais à l'horizontale et à travers une lucarne ouverte. Une roulade amortie ma chute alors que je fais irruption dans les combles de l'une des maisons du vieux quartier. Un peu de poussière se soulève et le plancher grince légèrement, mais il ne réveillera personne. Le couple de vieillards qui habitent là sont tout particulièrement sourds.

Habitué des ombres, je me repère de mémoire et attends que Thrynn me rejoigne avant d'avancer à travers le petit grenier, les jambes pliées pour ne pas m'assommer. Un peu de lumière lunaire traverses les vieilles tuiles, suffisante pour se diriger. Une échelle meunière donne sur l'étage en-dessous, mais je nous guide en silence à l'opposé, vers ce qui semble être la paroi du fond. Sans un mot, tout juste le bruit de frottement du bois contre le bois, je décale un coffre pour révéler une ouverte dans le mur, par laquelle je me glisse avec souplesse. Une fois Thrynn passé, je m'assure de replacer le coffre. Ici, le sol a l'air plus épais et souple que le plancher du grenier, mais c'est seulement lorsque j'allume une petite flammèche dans ma main que la pièce se dévoile vraiment. Un épais tapis recouvre intégralement le vieux bois, quitte à remonter le long du mur par endroit à la façon d'une vigne vierge. Quelques épais coussins et autre tas de tissus forment une couche confortable et colorée, un contraste aveuglant en comparaison de ma tenue plus noire que le néant. La charpente au-dessus de nos têtes est à quelques centimètres de les embrasser, le toit pointant vers le ciel, et deux fenêtres rondes donneraient sur les rues si leurs vitres n'avaient pas été recouvertes d'une épaisse teinture noire. Du reste, il y a peu d'ameublement. Quelques maigres provisions attendent sur la desserte, à côté de mon sac de voyage, et une chaise branlante prend la poussière sur le côté. - Les deux hommes qui vivent en-dessous dorment dans la chambre à l'autre bout de l'étage et son partiellement sourds. Cette section des combles est sûre, isolée et ils n'ont jamais réalisé qu'elle existait. Bref, on est tranquille ici.

La flamme dans ma main donne naissance à deux lanternes avant de s'éteindre. Aussitôt, mes doigts ressentent une fraicheur mordante, mais ce n'est qu'une impression. La température de la petite pièce est bien plus agréable qu'on s'y attendrait, ainsi aménagée sous les toits. Le froid ne m'a de toute façon jamais vraiment dérangé, et je sais que c'est également son cas. Le sang nordique en nous. - Alors ? Tu donnes dans les cambriolages surprise maintenant ? Ce n'est pas très prudent. - La cape qui ornait mes épaules est jetée sur l'une des poutres. Dans un seau, un peu d'eau suffit à commencer à nettoyer ma main dont la lumière vacillante révèle quelques traces rouges. Celle-la même qui tenait une flamme juste avant, chaleur qui a coagulé le sang frais, le rendant plus facile à retirer. - Je te proposerais bien un verre, mais j'ai bien peur de n'avoir que de l'eau. - Bien sûr, je pourrais descendre me servir dans les affaires de mes deux vieux hôtes, mais j'ai la sensation de déjà beaucoup leur en demander... Sans rien leur demander du tout.

J’esquisse un sourire satisfait à sa réponse, ne me cachant assurément pas d’apprécier un minimum sa compagnie. Elle change de celle de tous ces imbéciles bourrés qu’on croise dans la taverne du coin, de tous ces crétins si hautains qui ne marchent pas droit à garder leur tête plus haute que leur cul. C’est rafraîchissant. Peut-être est-ce en partie la raison pour laquelle j’ai décidé de ne pas fuir sa présence malgré nos différents. Pas tant par un goût prononcé du danger que le rush d’adrénaline dans mes veines me rappelle à chaque fois que je me fais presque coincé lors de mes méfaits, mais parce que j’avais besoin de côtoyer quelqu’un qui n’est pas un ivrogne ou un voleur pour une fois. Le dicton ne dit-il pas de garder ses amis proches, mais ses ennemis encore plus près? D’apprendre à connaître leur façon d’être et d’agir pour pouvoir anticiper leurs moindre mouvements en temps de crise? Peut-être. Serais-je en mesure de le ‘vaincre’ pour autant? Non, pas du tout non. Cet homme est l’ombre elle-même, le silence incarné, un spectre qui se déplace sous le nez même de l’humanité sans se faire remarquer. S’il décide de me tuer je suis mort et je le sais et c’est donc tête première que je le suis dans le périple sur lequel il me guide une fois la tombe de ce pauvre homme quittée. Discrètement, même si jamais autant que lui, pour ne pas que nous nous fassions remarqués par des gardes qui rôdent encore à cette heure. Ce serait bête. Je le suis simplement de ce gracieux pas que j’arrive à effectuer malgré le massif de ma carrure. Des années de pratique pour arriver à devenir une ombre autant que je peux l’être qui paient en des instants comme celui-ci. Enfin, je le suis jusqu’à ce qu’il m’indique le chemin à prendre et que je ne puisse retenir un roulement du regard de le voir effectuer ses petites prouesses aériennes comme s’il était une plume au vent qui se fait porter à destination. Vraiment cet homme est à un niveau que je n’atteindrai jamais, mais arriverait-il à subtiliser une pièce dans la bourse d’un homme sans se faire coincer? Je ne le saurai sans doute jamais, mais pour le bien de mon estime je vais prétendre qu’il ne le ferait pas aussi bien que moi.

Je le rejoins à ma façon, moins acrobatique, mais aussi moins bruyant dans l'atterrissage que je l’aurais été avec la même technique que lui. Ma masse joue un peu contre moi de ce côté. Je dois d’ailleurs presque marcher à quatre pattes pour continuer de le suivre sans m’assommer et mon dos va me le faire regretter demain. J’admire l’originalité de sa cachette lorsqu’il dévoile l’ouverture dans le mur derrière le coffre, l’y suivant avec précaution et attendant qu’il referme derrière-nous. Ce qu’il fait non sans nous offrir un minimum de luminosité par la suite pour me  permettre d’admirer ce qu’il a fait de cet endroit. C’est… ça semble confortable, disons-le ainsi. Pour une cachette de fortune c’est totalement respectable même et beaucoup mieux aménagé que bien des cachettes dans lesquelles j’ai moi-même été coincé par le passé.

« Je ne doute pas du tout de la tranquillité de l’endroit. Le contraire m’aurait étonné de ta part. »

Je vais m’asseoir sur la couche pour profiter un peu du confort des coussins, soupirant de son questionnement.

« La prudence n’est pas toujours payante malheureusement. Les temps sont durs, j’ai vu une opportunité et j’ai décidé de la saisir en prenant les précautions nécessaires. Je ne suis pas le plus mauvais voleur de la guilde, je ne doutais pas d’arriver à m’en sortir même si, soyons honnêtes, tu m’as grandement facilité le travail. Disons que ça compense pour le verre que tu ne peux pas m’offrir. Par contre… je me doute que tu ne me donneras pas tous les détails et je ne les veux pas, mais il y a quelque chose que tu peux me dire à propos du sac de chaire que tu as laissé traîner là-bas? Histoire que j’aie quelque chose à mettre sous la dent de mon chef en plus des pièces. »

Je ne doute pas du tout de la tranquillité de l’endroit. Le contraire m’aurait étonné de ta part. - Tu me surestimes. J'ai l'habitude de bien plus spartiate. Cet endroit est juste.. une belle opportunité que je suis parvenu à garder secrète jusqu'à présent. Rien ne dure, malheureusement. Ou heureusement, tout dépend du contexte. - Un haussement d'épaules. Une gorgée prise à l'outre en surface de mon sac. L'eau est fraiche, agréable. - J'imagine mal Brynjolf s'intéresser aux cadavres, mais tu le connais mieux que moi. -  L'outre reposée, j'approche distraitement de la lucarne voilée de noir et fais mine de jeter un œil à l'extérieur. Un reflexe que je chasse aussitôt confronté à l'obstacle qui empêche la lumière de s'échapper dans la nuit. - Pour m'en tenir à des informations que tu pourrais déduire par toi-même, une histoire de famille. Un mariage arrangé et une fille qui profite grandement de la mort de son géniteur, puisque de sa mort découle l'annulation de toutes ces manigances. Ajoute à ça une main noire de sang sur le mur, et il est difficile de ne pas comprendre les tenants et aboutissants de cette histoire. - La main, justement, n'a plus rien de rouge. L'eau a eu raison du sang séché, même sous mes ongles. Peut-être un jour me procurerai-je des gants, juste pour cette étape du rituel. Pour le moment, je préfère souiller ma peau que rougir les gants noir qui obscurcissent mes allées et venues.

Une chose est vraie, cela dit, le hasard t'as mené à lui, tout comme à moi. Ce n'est pas comme si on avait collaboré. Là n'est pas la voie du voleur, après tout. - Un cadavre ne vaut plus rien. La guilde ne laisse pas de corps dans son sillage, seulement des bourses vides. Peut-être là est notre opposition : nous laissons des dépouilles aux poches pleines. Ou peut-être, tout simplement y'a-t-il une mission sacrée à nos lames là où leurs doigts lestes ne glorifient que leur cupidité ? Loin de moi l'idée de juger. Aux yeux du commun des mortels, nous ne valons pas mieux l'un que l'autre. Un petit rire m'échappe, résultant d'une ironie imaginaire. - Un jour, on me demandera de voler quelque chose sans faire couler le sang. Ce jour-là, le monde partira en fumée. - Distraitement, tout en m'imaginant à sa place, les mains propres et les bourses pleines, je me débarrasse de mes bottes et du haut de mon armure. Le cuir est souple, près du corps, mais pourtant ne craque pas lorsque je l'étire un peu pour libérer mes bras. En-dessous, une simple chemise aux fines mailles dans les tons rouge sang épouse ma peau, une séparation nécessaire pour éviter les irritations du cuir. Qu'il ressorte braver la nuit si ça l'amuse, je ne comptes plus quitter ces combles avant le lendemain.

Et avant ça ? - Reprends-je enfin, m'appuyant contre la paroi qui nous a permis d'entrer, l'ouverture barrée derrière mes jambes. - Loin de moi l'idée de mettre en doute tes ambitions de grand voyageur, mais si cet homme était un vol d'opportunité, qu'est-ce qui t'amenait à Solitude ? - Je n'ai pas les mêmes précautions de langage que lui en ce qui concerne nos missions respectives. Peut-être parce que je considère la mienne sacrée et pas la sienne, ou peut-être parce que je considère automatiquement qu'il n'est pas forcé de me répondre. Ou peut-être, encore, que je passe trop de temps avec des assassins plus habitués aux morts qu'aux vivants. Allez savoir. - Je dois admettre ne pas avoir surveillé toute la ville. As-tu détroussé quelqu'un d'important ?

Oh non je ne le surestime pas. Du moins pas en ce qui concerne la tranquillité de sa cachette. Ce ne serait pas une cachette sinon. Peut-être un peu au niveau du confort il faut l’admettre parce que je ne doute pas que comme moi il sait se faire confortable jusqu’à un certain point dans un endroit bien plus petit et moins bien aménagé que celui-ci. C’est là toute la nécessité de notre endurance respective, de pouvoir être là sans l’être. Une décoration supplémentaire dans le décor qu’on ne remarquera pas, même lorsqu’il sera trop tard. Je ne vais tout de même pas me plaindre de la possibilité de dormir dans un peu de confort cette nuit et en bonne compagnie, s’il me le permet. Aussi éphémère soit cet endroit maintenant que son devoir est accompli et aussi éphémère soient nos présences dans les environs. Ne pas stagner est souvent la clé du succès ou à l’opposé s’incruster dans la population locale suffisamment longtemps pour qu’on ne nous porte plus attention en espérant que d’ici là aucun méfait majeur ne soit commis. C’est tout ou rien et plus souvent rien que tout. Ce n’est pas une vie posée, une vie à famille ou à enfants. C’est une vie de solitude parfois brisée par le souffle chaud d’un amant nous rappelant que nous respirons encore, que nous vivons encore et que notre dernier souffle ne s’est toujours pas égaré hors de nos lèvres avides de davantage parfois que la caresse amère de l’alcool sur notre langue. Ça a du bon comme du mauvais et le bruit des pièces s’agitant à ma ceinture lorsque j’essaie de me trouver une position confortable me le rappelle.

« Il ne va pas s’intéresser au cadavre. Il va s’intéresser à ce qui m’a poussé à voler un inconnu sur un coup de tête alors si j’ai un peu de chair pour l’os ce sera mieux. »

Être stupide sans raison c’est ça qui risque de ne pas lui plaire et le tintement des pièces dans les rues n’est pas réellement un motif suffisant. Je porte donc une oreille attentive aux maigres détails dont mon hôte me fait grâce pour les noter dans un coin de mon esprit et avoir une excuse à débiter au moment opportun.

« Je n’avais pas réellement l’intention de lui parler de ta présence. De la main au mur, peut-être oui avant qu’il ne l’apprenne de la bouche d’un autre. Du fait que ça a grandement facilité le travail lorsque j’ai pu constater l’état de l’occupant des lieux, oui. Du fait que j’ai croisé l’assassin, que je lui ai laissé m’ouvrir la voie et qu’ensuite je me suis rendu dans sa cachette avec lui pour pouvoir l’admirer et rafraîchir son image à mon esprit… ça non ça m’appartient. Puisque comme tu le dis, ce n’est pas la voie du voleur que de laisser le sang couler et ça aurait été n’importe qui d’autre que toi, soyons honnêtes, je ne serais pas resté pour ramasser le fruit du meutre. Le jour où on me demandera de tuer quelqu’un le monde partira aussi en fumée, mais je sais ne pas pouvoir t’arrêter. Tu as tes tâches, j’ai les miennes, et à mi-chemin nous avons ce fruit défendu qu’on a eu le malheur de croquer pour le meilleur et pour le pire. »

Dis-je en réponse à ses explications, mon regard glissant sans modération sur son corps qu’il dévoile à petite dose. Je pourrais prétendre que sa présence ne me fait aucun effet, peut-être le devrais-je, mais j’aime trop ce jeu dangereux entre nous pour dissimuler quoi que ce soit. Je préfère largement y aller cartes sur table en toute honnêteté et lui laisser voir dans la pâle lueur éclairant notre échange que son corps m’a manqué.

« Je n’ai détroussé personne d’important. J’étais simplement ici en repérage pour une autre cible qui est supposée arriver d’ici quelques jours. Un simple voyageur de passage dans les environs. Ce qui rend encore plus stupide cette bonne idée que j’ai eu ce soir. Qui de mieux que l’inconnu à blâmer pour les crimes commis, mais ta présence m’a probablement fait gagner le temps nécessaire pour récolter ce dont j’ai besoin et repartir avant que qui que ce soit ne puisse me pointer du doigt. J’imagine que je devrais t’en remercier. »

À le mentionner à voix haute oui, j’ai été terriblement stupide, mais le poids des bourses me porte tout de même à croire que ça en a valut la peine.

.. Du fait que j’ai croisé l’assassin, que je lui ai laissé m’ouvrir la voie et qu’ensuite je me suis rendu dans sa cachette avec lui pour pouvoir l’admirer et rafraîchir son image à mon esprit… ça non ça m’appartient. - Ma langue claque par reflexe, les yeux qui roulent vers le ciel. Il a la langue aussi douce que de la soie, on en oublierait presque son passé de bandit. La guilde lui a-t-il appris à ainsi assourdir les sens où était-il déjà si doué auparavant ? Combien de villages ont pu tomber sous sa coupe avec des yeux pareils ? - Tu as tes tâches, j’ai les miennes, et à mi-chemin nous avons ce fruit défendu qu’on a eu le malheur de croquer pour le meilleur et pour le pire. - Je secoue la tête cette fois, amusé par ses mots. Pourtant, dans la faible lueur de la lanterne et la pénombre chaude de ma peau, impossible de dire si une fébrile rougeur vient picoter mes joues.

Qui de mieux que l’inconnu à blâmer pour les crimes commis.. - Bien pour ça que je reste dans mon coin, mais tu sais ce qu'on dit des voyageurs. Ils trouvent toujours un autre port où aller. Tu es toujours à temps de le retrouver sur la route. De toute façon, ce n'est pas comme si Solitude ne voyait pas chaque jour des dizaines l'allées et venues. Rien que les marchands et autres colporteurs s'enchainent à mesure que les bateaux se remplacent. Tu as probablement plus de chance de réussir en restant et en agissant comme si tout allait bien, mais encore faut-il que tu ais joué la carte du bon samaritain en arrivant. C'est sur que si tu t'en es tenu aux ombres comme moi.. - Un sourire passe sur mes lèvres. - Tu courras un peu plus vite que prévu. Avec les armures que ces gardes se trainent, tu auras quitté la ville avant qu'ils arrivent à se dérouiller. - L'espace d'un instant, un long instant, c'est mon côté purement analytique qui prend le relai. Le calcul des vitesses, les différents itinéraires, le poids pas si imposant des armures des gardes face à celle que Thrynn porte encore. Tout y passe, la moindre variable, puisque c'est ainsi que mon cerveau fonctionne, jusqu'à réaliser avoir perdu le fil de la conversation. M'a-t-il demandé un plan d'évasion ? Non, j'y suis allé tout seul.

Mais effectivement, des remerciements seraient d'usage. Après tout, je t'ai ouvert la porte et avec ces nouvelles bourses à ta ceinture, cette bête et solitaire pièce ne suffit franchement pas. - D'un geste presque imperceptible, je récupère la pièce d'or dans ma poche et la fait glisser et rouler entre mes doigts, comme si elle flottait d'elle-même. - Une pièce.. Mes services valent tout de même plus que ça. J'ose espérer que tu as prévu de sortir me payer à manger demain. Ça creuse d'ouvrir des portes. - Une nouvelle gorgée d'eau rafraichit ma gorge, quelques gouttes roules le long de mon menton. - Si tu es sage, je resterai peut-être t'aider avec ton voyageur. - Un haussement d'épaules. - J'aime bien qu'on me doivent des services. C'est toujours utile.

« Je suis un peu trop costaud pour m’en tenir perpétuellement aux ombres, même si j’arrive à me faire discret au besoin. Puis où serait le plaisir à être un éternel solitaire qui attend patiemment que le travail soit à faire?  »

Est-ce son cas? Suis-je la seule distraction qu’il ose se permettre à l’occasion loin du oh combien sérieux devoir qu’on lui incombe? J’ose espérer que non, pour son bien. Non que ça m’importe plus que de raison alors que chaque rencontre me semble pouvoir être la dernière, mais tout le monde mérite sa chance de vivre un peu dans ce chaos dans lequel nous errons. Certes, je ne suis pas non plus une effigie de cette pensée, mais elle reste non loin dans un coin de mon crâne pour l’appliquer un peu plus entièrement le jour où je serai prêt. On ne peut pas passer sa vie à vivre de petits crimes non?

« Tu ne me connais vraiment pas mieux que ça? Tu devrais pourtant savoir depuis le temps que j’apprécie toujours un bon verre à l’auberge. C’est là que les gens sont le plus bavards, quand ils ont davantage d’alcool que de sang dans le corps. Et j’aime les gens bavards. Surtout quand ils ont bu au point de tout avoir oublié au réveil. Alors non, je n’ai pas embrassé les ombres. J’ai passé de bons moments avec les ivrognes et voyageurs du coin et je leur ai payé à boire comme le bon samaritain que je suis. »

Et lui a eu une petite pièce pour l’effort oh considérable qu’est l’ouverture d’une porte et s’en plaint. C’est adorable. D’autant plus venant d’une personne qui ne serait sans doute pas partie avec les bourses de toute façon. À moins que ce ne soit un prétexte pour me faire rester un peu plus longtemps près de lui et dans ce cas…

« Je croyais que tu préférais un autre type de paiement, mais c’est peut-être mon erreur… »

Dis-je en glissant un doigt contre mon cou jusqu’à le coincer en haut de mon armure sans le quitter des yeux.

« Nous pouvons aller manger demain si tu le préfères. Un repas me semble être un juste paiement à la hauteur de l’effort, puis pour ce qui est du reste… »

Je me lève en grondant un peu de l’effort, entreprenant de retirer mon amure à mon tour, ne comptant pas quitter cette pièce avant que le soleil brille suffisamment haut dans le ciel.

« … je suis toujours sage et je n’ai pas besoin de ton aide. Toi par contre tu dois apprendre qu’une simple demande gentiment formulée peut offrir bien des services. Cependant, si ton aide peut te faire rester ici encore quelques jours et que tu acceptes de les passer avec moi, je pourrais songer accepter de te devoir un service. Voit ça comme un paiement en avance. »

Puis où serait le plaisir à être un éternel solitaire qui attend patiemment que le travail soit à faire? - Une ombre passe sur mon visage, invisible dans la fluctuante lueur orangée. Il est des voies que l'on arpente seul, et la mienne est faites d'ombres et de sang. De cris, de supplications et de larmes. Oh, je ne suis pas seul bien sûr. Mes frères et sœurs de la Confrérie sont ma famille. Nazir le premier, de par nos origines communes, a été d'un support sans faille. Mon sang, de toute façon, n'est plus. Elle, emportée par la maladie. Lui, victime de la cupidité ou du désespoir des autres. Dans mes veines ne coulent désormais plus que la noirceur de la Mère de la nuit, même si un peu de lumière s'y risque de temps à autres. - Tu ne risques rien, dans ce cas. - Finis-je par dire en réponse à ses dernières interactions avec la ville et ses habitants. Se mêler aux clients de l'auberge est une bonne façon de passer inaperçu, surtout si on leur laisse un bon souvenir.. Ou pas de souvenir du tout. Je préfère m'en tenir au silence des ombres. Elles n'oublient rien, mais en parlent à personne.

Je croyais que tu préférais un autre type de paiement, mais c’est peut-être mon erreur… - Un haussement d'épaules. - Man gotta eat. - Il glisse son pouce au col de son armure et je le suis du regard alors qu'il se lève. - On a eu dit que je suis trop sérieux. Tu es sûr que tu supporteras mon aide ? - La voix plane dans le vide. Alors qu'il passait son armure par dessus sa tête pour la retirer, rompant son champ de vision, je me glissais dans les ombres. Quelques pas suffisent à traverser la distance et apparaitre dans son dos sous la forme d'un souffle chaud contre sa nuque. - May I? - Une demande formulée. Je dépose un baiser au creux de son cou, juste là où un vampire aurait pris son dû, mais faute de dents acérées, ce sont mes lèvres qui le mordent. Ma voix se transforme en murmure. - Peut-être bien que c'est une mauvaise idée. Je n'accomplirai rien du tout avec une telle distraction entre les mains. - Mains qui se déploient d'ailleurs sans vergogne. Une remonte le long de son ventre et jusqu'à sous son cou. L'autre glisse, du bout des doigts, si lentement qu'elle en deviendrait brûlante, entre sa peau et sa ceinture. Juste à la lisière de l'ombre et de la lumière. À la frontière du frisson.

Un nouveau baiser grignote son cou, légèrement plus haut. - Le vent me souffle que la Guilde profiterait d'un peu plus de boulot, mais a-t-elle vraiment besoin de cet or ? - Tentation dévorante, j'ai beau être un solitaire, je sais que ce n'est pas par nature. Seulement par habitude. Et Thrynn est une des choses qui me font me souvenir que cette habitude aurait pu ne pas être mienne, si les choses avaient été différentes. Si la mort n'avait pas frappé, avant de faire de moi son outil. Il est une faille à ma détermination, heureusement que je n'y suis pas confronté si souvent. C'est même rare. Serais-je capable d'y résister, le cas contraire ? Un nouveau baiser, juste sous son oreille. Des jours de ce miel pourraient bien causer ma perte, mais le sucre sur mes lèvres est si délicieux...