Le chat et la souris || feat. Khelan

Est-ce que je suis sûr que je supporterai son aide? Et bien j’imagine que cela dépend de la façon dont il compte me l’apporter, mon but n’étant pas de tuer la cible. Forcément. Simplement de lui reprendre ce qu’il nous a volé. Pas de chance pour lui, nous avons des yeux et des oreilles partout et il n’a pas été complexe de le retrouver au fil de son voyage et de valider également la présence de ses gains nouvellement gagnés en sa compagnie. Tant que nous agissons ici nous sommes assurés de récupérer ce qui nous appartient, mais ce n’est pas pour autant que nous comptons nous venger de lui en lui tranchant la gorge pour le principe. Non. Il nous sera bien plus utile vivant à raconter comment il a tout perdu parce qu’il nous a cru trop stupides ou pas assez expérimentés pour nous laisser subtiliser nos gains sans réagir. Nous. Des voleurs. Va savoir ce qui lui est passé par la tête à ce pauvre bougre de s’en prendre à la guilde. Il reste chanceux que nous soyons à notre façon davantage cléments que s’il s’était attaqué à la guilde de mon compagnon du soir. Nous avons d’autres façons plus “civilisées” de nous venger que par la mort et le sang que je trouve barbares et inutiles dans la majorité des cas…

Si par contre mon dit compagnon faisait plutôt référence à cette petite prouesse qui l’a mené dans mon dos, à ce souffle chaud contre ma peau qui me fait frissonner et cette proposition de m’aider là-maintenant avec un problème tout autre… ça oui sans aucun doute je peux le supporter. Enfin, ma tête peut le supporter. Mon corps lui flanche déjà sous la morsure fumante de ses lèvres se pressant à ma chaire et sous ses doigts aventureux dont le toucher si agréable s’épanche en mon esprit comme le souvenir lointain d’une nuit torride que ma mémoire n’a su oublier.

« Tu n’as plus d’obligation à accomplir quoi que ce soit dans tous les cas… »

Soufflais-je en un soupire. En tout point distrait de mon côté par ce toucher qui m’a oui, je l’admets, manqué. Puis il est vrai que de son côté tout est fait. Si cette mission est un échec ce sera surtout de ma faute et non de la sienne, même si c’est la dernière chose à laquelle j’aspire penser dans le moment présent. Mon esprit vagabonde bien davantage à mon cou qui s’incline légèrement pour lui céder le passage, à mon ventre qui se creuse au passage de ses doigts, à mon souffle qui se coince sous l’appréhension de davantage… Au fait que oui, peut-être, je pourrais partager un peu de cet or qui n’était pas prévu et dont la guilde n’est pas encore au courant. Vile manipulateur, joueur, et trop bon amant pour ne pas que j’y cède bêtement malgré toute ma bonne volonté.

« Je n’ai pas envie de te payer après une nuit en ta compagnie comme si tu n’étais qu’une vulgaire pute de quartier… Tu es… un amant occasionnel que je ne veux pas laisser partir après une nuit avec quelques pièces comme si la nuit est tout ce qui avait fait peser mon jugement. Cependant, si tu acceptes de m’aider, sans que le sang ne coule cette fois, je te paie le repas demain et je te donne la totalité de l’une des deux bourses. Ça te semble raisonnable? »

J’ose l’espérer parce que la concentration dont j’ai eu besoin pour débiter mon petit discours sans que ce ne soit qu’une supplication de soupirs à ce qu’il continue a été aussi énorme que mon envie qui se sent déjà bien à l’étroit dans ce qu’il me reste de tissus.

Tu n’as plus d’obligation à accomplir quoi que ce soit dans tous les cas… - Je sais, je sais.. Mais si j'offre mon aide, tu te doutes bien que ce n'est pas pour faire la moitié du boulot. - J'ai ma conscience professionnelle et je dois admettre être plutôt satisfait de mon travail, ce soir. Ce n'est pas pour gâcher tout ça en allant l'aide à reculons. Aider un ami est tout aussi sacré que servir une déesse, après tout. Mais est-il vraiment un ami ? Est-ce que je peux compter cette race là dans mes contacts ? Un allié, ça c'est certain, et c'est peut-être suffisant. - Je n’ai pas envie de te payer après une nuit en ta compagnie comme si tu n’étais qu’une vulgaire pute de quartier…[/color] - Un rire m'échappe. D'aucun dirait qu'elles sont moins problématiques que moi, un assassin. Après tout, leur rôle est tout aussi important à la société. Détendre d'un côté, faire de la place de l'autre. - Cependant, si tu acceptes de m’aider, sans que le sang ne coule cette fois, je te paie le repas demain et je te donne la totalité de l’une des deux bourses. Ça te semble raisonnable? - On verra. - Et ma main se referme sur un tout autre type de bourses. - Oh, pardon, tu parlais de l'or ? C'est vrai que ce serait dommage de séparer celles-ci.

Il est toujours fascinant de savoir qu'au-delà de quelques bêtes planches de bois, le froid est tel que l'eau gèle et l'herbe se fige dans le vent, alors qu'ici, dans l'espace restreint de ces combles, la transpiration ruisselle et le souffle brûle. L'espace d'un instant, j'ai même eu envie d'ouvrir l'une des lucarnes et risquer de révéler notre présence avec cette boule de lumière qui aurait troué la nuit. Déjà que les voix doivent être étouffée pour éviter de déranger les dormeurs et les sourds... À un moment, le choc électrique fut tel que mes dents se sont refermés sur son épaule, y laissant une profonde marque rouge. Pas de sang, pourtant, ou peut-être cette fine pellicule carmine de la peau malmenée. C'était ça, ou un râle si puissant qu'il aurait rameuté la garde. Il aurait aussi fait vibrer Thrynn, mais j'ai d'autres moyens de le faire trembler et gémir. Et j'en ai fait preuve. Des choses qu'il avait déjà expérimenté la dernière fois, et de nouvelles, prudentes et subtiles, parce qu'il ne faudrait pas lui révéler tout mon jeu en une seule nuit.

Lorsque le soleil commence à cribler le ciel de ses traits dorés, Thrynn dort paisiblement, le corps épuisé, le souffle fort d'un homme énergique aux muscles pesants. Parfois, je me demande comment il parvient à être si discret avec un corps pareil. Si agile. Je suppose qu'il ait des magies que le corps humain garde encore secrètes. Mon regard accroche mon sac, mes affaires discrètement rassemblées. Lorsque le sucre a commencé à me faire tourner la tête, l'envie de partir, de me préserver, a pris corps. Je pourrais m'habiller et quitter cette pièce sans un bruit, mais qu'en serait-il de l'aide offerte ? Je ne doute pas qu'il soit capable de s'en sortir seul. Cela dit, je n'ai qu'une parole. J'ai dit que je l'aiderai, et je le ferai. Au risque de me brûler. Un soupir m'échappe. J'entends déjà quelques oiseaux, des voix lointaines et le son d'une tasse qu'on pose un peu fort, deux étages plus bas. Nos hôtes sont debout, avec cette jeune matinée, mais nous avons œuvré de nuit. Il n'a jamais été question de nous lever si tôt. Il n'a seulement été question que de partir en silence.. Et décider de rester. Mon dos retrouve alors la couche, le confort des épais coussins. Dans son sommeil, Thrynn bouge et sa main tombe sur mon ventre. Et tout ce à quoi je pense à cet instant, c'est à quel point je déteste apprécier cet instant.

Petit-déjeuner ? Messieurs, midi a déjà brillé depuis un moment. - À l'auberge de Solitude, les quelques derniers clients finissent leur déjeuner à base de légumes de saisons et de viandes rôties. Une odeur d'infusion mentholée émerge de l'une des alcôves. Un jeune barde chantonne quelques lignes, probablement l'un des étudiants de l'académie. - On prendra ce que vous avez. - L'aubergiste hausse les épaules. - Installez-vous où vous voulez, dans ce cas. - Et l'air de rien, je fais mon chemin jusqu'à la seconde alcôve, baignée d'une lumière blanche traversant une haute vitre. Ainsi fagoté, j'ai l'air d'un voyageur propre sur lui. Adieu mon armure de cuir, adieu armes. Il ne reste que mes bottes, et quelques dagues dissimulées. La tenue dans les tons bleues nuit arpentait le fond de mon sac depuis des lustres lorsque je l'en ai tiré, mais  si je dois aider Thrynn, sans tuer, il me faut oublier l'assassin au moins quelques heures. Quelques minutes plus tard, un serveur nous trouve avec deux verres d'hydromel et un assortiment de pain, pâtisseries, viande séchées et grillées. Certainement des restes de ce matin, assemblés en vitesse. - Alors, je dois m'attendre à quoi ? - Je n'ai pas choisi cet alcôve pour rien, après tout. Pour une conversation sans oreilles indiscrètes, c'est le meilleur coin de l'auberge.

Mes souvenirs n’étaient pas à la hauteur de ces moments de chaire que nous avons partagés durant les heures suivant la promesse d’une discussion plus sérieuse le lendemain matin. Mon corps a rarement autant pulsé de satisfaction, de chaleur et surtout de plaisir. Mon cœur s’emportant plus que de raison sous la moindre de ses attentions auxquelles je me suis soumis sans la moindre hésitation. Il n’y avait pas de place à réfléchir cette nuit, à penser aux circonstances et aux détails de la personne qu’il est hors de ces murs, à ce que nous apportera demain. Il n’y avait que nous, deux êtres figés dans le temps et ce moment où rien n’avait d’importance au-delà de ses gémissements de plaisir étouffés contre ma peau qui en gardera les marques quelques jours. Pas que je m’en plaigne, bien au contraire. Je chéri toujours le souvenir d’une bonne nuit et elle n’y fera pas exception. Le sommeil a été tout aussi agréable, la couche étonnement confortable et sa peau toujours brûlante contre laquelle je me suis pressé sans gêne jusqu’à sombrer dans les limbes. J’ai eu peur, je l’avoue, que cette présence près de moi ne soit plus lorsque je me réveillerai quelques heures plus tard, mais le soupir ne ment pas et je me suis retenu d’esquisser un sourire pour ne pas trahir tout de suite mon état d’éveil. Me contentant de rouler, mine de rien, pour poser ma main sur son ventre en respirant sa peau à l’odeur de notre étreinte. S’il y a bien une chose qui me manque parfois de cette vie de célibat c’est ceci. Pas forcément les nuits torrides où s'entremêlent souffles et gémissements, mais simplement s’endormir et s’éveiller près de quelqu’un. C’est simplement sécurisant, mais je ne le mentionne pas.

Pas même lorsque le temps vient de finalement quitter cette cachette de fortune pour nous sustenter un peu. Nous l’avons bien mérité après tout et mon ventre gémit si fort que je ne pourrais pas l’ignorer même si je le voulais. J’ai laissé mes yeux glisser une dernière fois sur sa peau nue en enfilant mes propres vêtements, gardant l’armure pour ma part parce que je me suis baladé en la portant au cours des derniers jours dans tous les cas, avant de le suivre pour sortir de la façon la plus habile et subtile que je le pouvais pour ne signaler à personne notre présence. Ensuite? Direction l’auberge que je connais bien autant de visuel que d’odeur. Quelques personnes présentes me saluent d’ailleurs de la main lorsque j’entre et je leur renvoie la salutation par principe avant de suivre mon compagnon dans cet alcôve bien au calme pour y attendre la nourriture qui ne tarde pas trop à arriver. Je suis distrait un instant par la mélodie du barde, prenant un délai avant de finalement lui répondre.

« Rien de bien effrayant. Un homme bien maigre, un sourire abîmé, trop peu fort pour porter la moindre armure… Lui en soit est une proie facile à coincer. Cependant, il semblerait qu’il se soit trouvé deux amis qui font trois fois sa taille. Il faut donc trouver une façon de les distraire pour l’éloigner lui et le conduire dans un coin au calme pour que je puisse parler avec lui et reprendre ce qui nous appartient. Idéalement, on évite de verser du sang inutilement, mais si vraiment la nécessité se présente il vaut mieux les deux molosses que celui qui m’intéresse. Il y a beaucoup de petites ruelles calmes et de maisons abandonnées ou simplement vides non loin. Ce serait un bon endroit pour faire le tout discrètement. D’autres membres de la guilde sont supposés arriver dans la journée pour couvrir les issues et aider à récupérer nos gains. Lui devrait arriver ce soir si mes informations sont bonnes. Il essaie de ne pas trop se faire remarquer. »

Expliquais-je avant de glisser un morceau de viande entre mes dents.

Rien de bien effrayant. - Les mots qui suivent, pourtant, disent le contraire. Une cible, deux massifs gardes du corps et un butin à reprendre. Le voleur volé, un coup à la réputation, voilà ce que c'est. Tuer ces types n'aiderait effectivement rien à ce niveau, mais il y a toujours une autre solution. Il s'avère simplement que c'est cette solution que mon boulot et ma tâche demande, c'est tout. - Est-ce que ce type connait l'un d'entre-vous ? Pas en tant que rats de Faillaise, juste un contact quelconque ? Est-ce que tu sais pourquoi il vient ici ? - J'ai étudié le quartier pendant des jours, il serait dommage de ne pas mettre ce temps à notre avantage. - Parce que si on peut gentiment les guider dans, je ne sais pas, une maison réservée pour leur visite, il serait plus facile de les isoler. Et on a une maison vide à disposition. Elle mériterait un peu de ménage, c'est tout. Je connais chaque recoin de ces rues spécifiques, donc on peut éviter la garde et savoir exactement où aller, comment et quand y aller. Mais ce plan là dépend beaucoup de ce qu'on sait de ta cible et de la raison de sa présence ici.

Distrait, déjà lancé dans milles projections mentales qui se concluent majoritairement par un bain de sang, je grignote un bout de pain. Un bête bout de pain. L'habitude de la route, de manger sur le pouce, en marchant. - Une autre option c'est de se débarrasser de ses copains avec un peu de poison. - Les mots sortent avant de réaliser leur implication. Je me reprends aussitôt. - Pas pour les tuer, mais je peux concocter de quoi les rendre malade, ou les endormir. J'aurai besoin d'aviser leur corpulence avant, mais je peux adapter les dosages au dernier moment. - Je fais glisser le ridicule bout de pain avec un peu d'hydromel. - Tu peux aussi profiter de la présence de tes collègues pour lui tendre une embuscade, mais dans ce cas là, il vaudrait mieux que je me fasse discret. Pas que nos organisations respectives soient rivales ou en guerre, mais tu sais comment ils peuvent tous être. Cela dit, on peut quand même joindre ces deux idées. J'empoisonne discrètement les colosses en amont, hors de la ville, et vous tendez une embuscade ici quand ils sont au plus faible. En sachant que si tes collègues sont là, utiliser la maison serait une mauvaise idée. Elle est marquée. Mais si ton gars est seul, vous pouvez le coincer un peu n'importe où. - La trace de main ensanglantée que j'ai laissé la veille, avec le cadavre, ferait bien mauvais effet.

Les gardes qui nous trouvent. Les colosses qui le devancent. Sa cible pas si rachitique et inutile que ça finalement. Ses amis voleurs qui se retournent contre lui en découvrant mon implication. Tant d'autres options traversent mon esprit, toutes se terminant avec le sang versé et des cadavres laissés dans le sillage. Etrangement, à aucun moment je ne fais parti de ces corps. Je suis le seul debout, couvert de rouge, au sommet d'un monticule de dépouilles dont Thrynn fait parti. Son visage est très clair, pâle. Je secoue la tête, avale une nouvelle gorgée et pique un bout de jambon séché. - Bref, ce sont des options plus ou moins viables. Sauf si tu avais déjà un plan ?

Khelan At-Azan Progéniture d'une Rougegarde exilée et d'un paysan Nordique, il est devenu orphelin à 16 ans et a été recueilli par la Confrérie Noire. Trahit, emprisonné et désormais en fuite, il rend des services ci et là à travers Bordeciel et vit essentiellement sur la route.

« Je ne crois pas qu’il arrivera à nous reconnaître si c’est ta question. Il était trop préoccupé par son butin pour porter attention à qui que ce soit. Je ne l’ai moi-même jamais vu et ce que j’en sais je le dois strictement à mes informateurs, mais je leur fais confiance. Et pour ce qui est de la raison de son passage ici, je crois que c’est tout bêtement sur le chemin de sa prochaine destination et puisqu’on pense qu’il arrivera ici durant la nuit il doit préférer un lit douillet à un sol trop peu confortable. Tu sais comment sont les gens lorsqu’ils mettent la main sur un peu d’argent. Soudainement le monde entier leur appartient et leur royal fessier ne mérite rien de moins que de la qualité. »

Autrement dit, ils n’ont pas compris la véritable valeur de l’argent et surtout pas la véritable façon d’en profiter comme il se doit sans se faire remarquer de trop ou tuer au détour d’une ruelle parce qu’ils ont manqué de prudence avec leur couronne imaginaire improvisée qui les rend intouchables. Pathétique. Nous ne sommes pas tous membres de la royauté et quelques pièces ne changeront pas ça. Quelques pièces ne donnent pas un titre, un royaume, même si la quantité d’or dans nos mains est plus grande que tout ce qu’on a eu dans notre vie auparavant. Il faut bien davantage pour diriger le petit peuple. Du pouvoir, une armée, et bien trop souvent une cruauté qui n’a pas d’égal. Il faut sembler nombriliste sans l’être totalement, jouer ses coups comme on le ferait à un jeu, et le faire sans se faire coincer pour manipulation ou autre magouille quelconque. C’est un art que peu maîtrisent et ce petit crétin n’en est pas un maître c’est une évidence, ce que je compte bien lui agiter sous le nez dans les règles de l’art.

Je laisse mon vis-à-vis m’expliquer les différentes options à frôler son esprit, admirant la vitesse à laquelle il arrive à mettre en place plusieurs options de plan pendant que je me bourre la panse de nourriture et que l’hydromel glisse allègrement dans ma gorge. C’est moi qui invite après tout alors je me permets. La nuit a été épuisante, cette petite mission risque de l’être tout autant et mon corps ne fonctionne pas à être tiré par des chevaux. J’ai besoin d’énergie et je fais le plein sans ménagement jusqu’à ce que ma bouche soit vide de nouveau et que je puisse enchaîner sur son questionnement à savoir si j’avais un plan. Oui. Évidemment. Partiellement. J’avais l’objectif A et B, mais la connexion entre eux était encore incertaine. Ce qu’elle ne sera plus à la lueur de ses propositions.

« Je t’avouerais que les colosses étaient le point à clarifier, mais j’aime bien l’idée de les empoisonner avec douceur avant leur arrivée en ville. Pour ce qui est du reste, une partie de mes collègues va se poser aux sorties de la ville pour s’assurer qu’il ne se sauve pas et nous avons quelques demoiselles dans le coup prêtes à l’attirer là où nous aurons décidé de nous poser. La maison serait en effet probablement une mauvaise idée, mais j’en ai vu quelques autres qui semblent vides. Sinon il reste le banal des chambres ici. Il suffit de le bâillonner assez rapidement pour qu’il se taise et en bonus on peut le laisser attaché au lit pour son plus grand bonheur. Je ne doute pas une seconde qu’il se balade avec le butin sur lui. Puis si ses gardes ne se sentent pas très bien, l’auberge me semblerait tout désigné pour qu’ils puissent se poser un peu aussi, essayer de faire passer le mal avec de la nourriture ou de l’alcool. Quitte à tomber en pleine salle et attirer l’attention quelques minutes. »

C’est que je m’emporte aussi dans mes explications.

J'acquiesce en silence à ses explications, rassurés de l'anonymité de leurs visages. Voilà qui nous laisse bien plus d'option que s'il avait fallu agir à couvert, ou à travers des intermédiaires. Certes, ils ne me connaissent pas. J'aurais pu prendre sa place. Heureusement, ce n'est pas nécessaire. Tout en poursuivant mes suggestions, je l'observe se goinfrer comme un véritable animal, et si je ne le connaissais pas, je lui écraserais probablement ma chope sur la tête pour lui apprendre la patience. Pour sa défense, je sais parfaitement pourquoi il est affamé. Je reconnais mon propre travail. Mais je sais aussi qu'il n'est pas le plus délicat des hommes, à ce niveau là. Et étrangement, ça me donne envie de lui donner une nouvelle raison de bouffer. Même si ça me donne aussi envie de lui claquer la nuque pour lui apprendre les bonnes manières. Les deux choses ne sont pas nécessairement indissociables.

Les ramener ici n'est pas une mauvaise idée. On peut graisser la patte de l'aubergiste pour qu'il regarde ailleurs s'il y a un soucis. Les gardes du corps déjà affaiblis auront tôt fait de s'effondrer après un verre ou deux et personne n'y verra de problème. Et ta cible.. Et bien, il finira bien par monter dans sa chambre, surtout si ses chiens de gardes font la sieste, il se verra probablement plus en sécurité là-haut. En soit, je peux m'occuper de leur cas ici, épicer leurs boissons. Et tu t'occupes de leur maitre en haut quand il montera. Il faut juste s'assurer qu'ils s'arrêtent ici pour la nuit, mais s'ils sont juste de passage, il n'y a aucune raison qu'ils aillent dormir ailleurs. Assumer ça n'est pas bien risqué. - La nouvelle suite d'étapes s'enchaine dans mon esprit. - J'endors les gardes ici pendant que tu te planques en haut. Et quand le gars montera se coucher, il sera tout à toi. Et tu gardes tes collègues en ville au cas où la cible irait ailleurs, pour être informé d'un quelconque changement ou imprévu. - Une variable écartée revient pourtant déranger ma petite liste. - Mais s'il y a un risque que ton gars connaisse quelqu'un en ville.. Il faudrait parer à l'éventualité. Tu sais s'il a un contact ici ? Il suffirait de rendre l'hôte ou la maison inaccessible. Une maladie subite, une infestation quelconque.. De façon à pousser notre petite souri dans la bonne partie du labyrinthe.

L'air de rien, je pique de la pointe de mon couteau un petit bout de jambon sec et le cale entre mes dents. - C'est amusant. Habituellement mes plans se résument à entrer, agir, sortir, et disparaitre. Avec les quelques obstacles habituels, qui ne comptent pas vraiment. Je pourrais me faire passer pour un serveur, tiens. Je n'ai jamais exploré d'autres voies professionnelle, c'est l'occasion rêvée.

« Il faudra que tu bouffes davantage que ça si tu veux te faire passer pour un serveur. Tu dois savoir ce que tu sers, connaître les subtilités de la cuisine de l’endroit… »

Autrement dit, le minimum de la qualité pour que l’aubergiste puisse s’en mettre plein les poches parce que c’est, règle générale, le but de ces derniers. Le but de tout homme qui se respecte et qui veut d’un minimum de qualité de vie quoi. Puis, vraiment, mon compagnon mange si peu que je ne sais pas où il a pu trouver toute cette énergie durant la nuit. À moins qu’il n’ait mangé quelque chose pendant que je dormais du sommeil du bien heureux, aussi une possibilité.

« Puis je suppose qu’il passera ici parce que c’est l’auberge qui a attiré mon attention quand je suis moi-même arrivé. C’est celle qui semble la plus vivante et animée, dans le meilleur état et à l’odeur pas trop désagréable au nez. En plus d’offrir un peu de compagnie aux bons payeurs. Vraiment il n’y a pas de raisons qu’il aille passer la nuit ailleurs. Cependant, j’avoue que je ne sais pas du tout s’il a un contact quelconque en ville. Je sais que ce n’est pas sa destination finale alors je suppose que ce n’est pas le cas et que vraiment ce n’est que sur le chemin de la véritable destination. Dans tous les cas, j’ai assez de collègues en ville pour m’assurer d’avoir l’information s’il bifurque et va ailleurs. Ce qui compliquerait surtout ta partie de la mission avec les colosses qui sont avec lui. »

Ce qui rend toujours obligatoire d’avoir plusieurs plans de secours le cas échéant pour ne pas échouer l’objectif comme des imbéciles mal préparés.

« Alors disons que plan A ce sera le coincer ici, que tu sois un serveur ou pas ça c’est ton petit plaisir alors tu en fais ce que tu veux. Moi je suis en haut, j’attends qu’il monte, je chope le nécessaire et tout le monde est heureux. Le plan B sera qu’on m’avise qu’il est allé chez quelqu’un et là on risque d’en cogner quelques-uns… ou on attend qu’il reparte pour empoisonner subtilement ses compagnons et le coincer. Puis s’il manque du butin je saurai quelle maison surveiller. Le plan C… on espère ne pas en avoir de besoin. »

Ça semble bien respectable et pas compliqué de trop comme planification.

« Et après coup je te file une partie de ce que j’ai choppé hier comme promis et j’espère encore un peu de chaleur avant qu’on se recroise hasardeusement dans je ne sais combien de lunes. »

Quoi? Je n’ai pas le droit de rêver un peu? Ce n’est pas de ma faute si j’aime bien être au chaud et que j’en profite quand je peux parce que les sources de chaleur se font rares.

Est-ce que tu oses remettre mes compétences culinaires en question ? - L'air outré passe en une fraction de seconde, aussi crédible que mes dagues sont molles. - Tu serais surpris de tout ce que j'ai besoin de savoir pour être certain qu'un poison fonctionne comme je l'ai décidé. Si tu savais la quantité de verre que j'ai servi... Et puis, s'occuper de dix tables à la minute, ça muscle. - Pas un seul de ces verres n'était sain. Chacun de ces buveurs est mort. Servir deux buffles sans cervelle n'aura rien de compliqué. - Tout ces plans me semblent biens. Et si tu ne sais pas s'il a un contact ici, autant ne pas s'en inquiéter. Les autres surveillent. Nous pouvons nous concentrer ici. - Et après coup je te file une partie de ce que j’ai choppé hier comme promis et j’espère encore un peu de chaleur avant qu’on se recroise hasardeusement dans je ne sais combien de lunes. - Je bois une gorgée et repose ma chope tout en me levant. Penché ainsi, je passe si près de son visage que nos souffles s'entrelacent et que nos nez se frôlent. - Chaleur ? Hmm.. Laisse-moi y réfléchir pendant que je vais parler à l'aubergiste. - Et je quitte la petite alcôve d'un pas juste assez déterminé pour ne pas attirer l'attention.

Convaincre l'aubergiste n'a pas été bien compliqué. Certes, sa réputation pourrait en prendre un coup, mais il y fait aussi son compte entre les consommations, la chambre payée, un travailleur de plus, et un petit supplément versé en acompte. Je ne lui dis pas tout, bien sûr. Seulement que j'ai besoin d'endosser le rôle de l'un de ses serveurs pour un soir. Et si lui graisser la patte n'avait pas suffit, j'avais de toute façon jeté un œil à ses livres de comptes. Une dénonce anonyme aurait été dommage, pour lui. Le menacer de mort aurait été efficace, mais venait avec un bémol : devoir révéler mon appartenance à la Confrérie. Un type qui vous menace, vous pouvez essayer de percer son bluff à jour. Un Assassin, c'est une autre histoire, et utiliser le poids de la Confrérie ainsi n'est pas acceptable. Pas à mes yeux.

Dans tous les cas, lorsque l'heure vient, je porte une tenue pour le moins passe partout. Des bottes légères, des vêtements simples, légers eux aussi. Un pantalon un peu bouffant me rappelant les tenues de mes ancêtres, un haut blanc en lin au col échancré, et un torchon sur l'épaule qui semble cousu à même le tissu. À l'heure de pointe, une fine transpiration brille sur mon front. Je m'attèle à la tâche et le patron n'a jamais vu un serveur aussi agile et adroit. Pas un seul verre renversé, pas la moindre éclaboussure, pas la moindre erreur de commande.

Les boissons s'enchainent et notre personne d'intérêt n'apparait à la porte qu'une demi heure après le début du coup de feu. Je ne l'ai jamais vu, mais la description ne trompe pas. Grand, les cheveux blancs et le front si haut qu'on le voit disparaitre sous la fine tignasse, un nez pointu et les dents qui se chevauchent. Les deux armoires à glace qui l'accompagnent correspondent eux aussi. Un brun à l'épaisse barbe, massif, de petits yeux enfoncés dans son visage. Un châtain à la peau halée comme s'il avait passé une vie entière au bord de l'une des plages du sud du continent, les yeux clairs, tout aussi imposant que son confrère si ce n'est qu'il parait plus agile, moins stoïque. En un coup d'œil, j'ai repéré leurs points faibles, mais ils ne me serviront à rien. D'un naturel effrayant, je les aborde, les installe, prend leur commande. Jouer la comédie n'a jamais été mon fort, mais ce n'est de toute façon pas ce que je fais ici. Je suis un serveur, et je fais mon travail, rien de plus, rien de moins. Deux bières et un verre de vin. Quelques gouttes d'un liquide brun viennent épicer les bières et je reviens à leur table en vitesse avant de repartir. Deux chambres sont réservées, une pour lui, une pour les deux musculeux. Ils ne l'atteindront jamais.

En quelques minutes, je vois leurs yeux se faire plus vitreux, comme s'ils avaient déjà bu trois choppes. Un avant-gout, pour justifier qu'ils en redemandent. Et sans surprise, aussitôt leurs chopes vides, les voilà qui m'interpellent. Les chopes suivantes sont plus épicées que les premières, poison à effet graduel que je dose en fonction des besoins et de leur corpulence. À la troisième véritable chope qu'ils avalent, les deux gars s'effondrent sur leur chaise, bel et bien endormis. Pendant que la veine de leur patron tempête sur son front. Son regard se fait plus vif, plus paranoïaque, non pas qu'il se doute de quelque chose, mais il n'a pas engagé ces types pour être laissé seul et sans défense. Il se sent encore en sécurité dans l'auberge. La soirée est déjà bien entamée. Il est temps qu'il prenne congé.

Il suffit d'un coup de coude, pas même pour faire mal. Un simple coup de coude donné à l'un des hommes les plus vivres et volubiles, pour le pousser vers une autre poche à vin, et une dispute éclate. La bagarre menace. Notre personne d'intérêt se tend sur sa chaise, avise les gardes du corps inutiles, et se lève. Lorsque le premier coup de poing part, notre homme disparait dans les escaliers de l'auberge en direction de sa chambre. Chambre dont j'ai indiqué le numéro à Thrynn lorsque je suis allé la réserver au nom du client. Notre client. Sa cible. Et pendant que je m'occupe de séparer les imbéciles en pleine bagarre, avec une aisance presque jalousée par les autres serveurs qui ne me connaissent pas, je sais que notre homme est entre de bonnes mains.

J’esquisse un sourire à ses commentaires, encore davantage en sentant son nez frôler le mien et son souffle si chaud près de ma bouche. S’il a besoin d’y réfléchir vraiment je vais être insulté. Ose-t-il mettre en doute mes compétences à le faire gémir tout autant qu’il l’a fait avec moi? Parce que vraiment l’impression que j’ai eu la nuit dernière me fait tout sauf réfléchir à une nouvelle possibilité en ce qui me concerne et me donne plutôt envie de prendre pour acquis que cela se produira. À moins bien sûr qu’il ne prenne simplement bien trop de plaisir à jouer avec moi, ce qui me semble la possibilité la plus probable alors que j’enfourne encore quelques bonnes bouchées de nourriture dans ma bouche que je fais descendre de ce liquide si agréable brûlant ma gorge et mes tripes. Nous ne pouvons nier dans tous les cas que nous avons une relation fort particulière tous les deux et pas seulement de par la nature de nos terrains d’activités respectifs, mais ne dit-on pas que les contraires s’attirent? Ou plutôt que les contraires se complètent en cette journée où notre plan se mettra à exécution.

Et les minutes me semblent interminables alors que je suis appuyé sur le mur de cette chambre déjà payée à écouter les bruits de l’auberge, les pas dans l’escalier qui tendent mes muscles à chaque passage pour se préparer à bondir sur la cible. Ma cible, mon ennemi, dont le destin est tout tracé ce soir sans qu’il ne s’en doute. Je tiens fermement ma dague à la main, bougeant les jambes à l’occasion pour en chasser les fourmies qui se propagent par manque de mouvement. Ne prêtant pas attention aux fines goutelettes de sueur qui perlent sur mon front et ruissellent sur mon visage sous la chaleur confortable de la chambre. Invitante et sécurisante avec son feu crépitant doucement dans l’âtre.

Puis j’entends la porte grincer, la vois se pousser pour laisser entrer cette silhouette que j’observe dans l’ombre alors que des bruits de coups de poings venant de plus bas résonnent à mon oreille. Ce sera parfait pour couvrir tout éventuel bruit. J’attends qu’il referment derrière-lui, marmonnant que ces deux imbéciles ne servent à rien, avant de l’attraper par derrière. Ma main se plaque contre sa bouche, ma dague contre son cou, et mon souffle bouillant murmure à son oreille qu’il a bien mal choisi sa cible à s’attaquant à mon clan.

Jamais il ne verra mon visage alors que mon corps massif contrôlera le sien sans efforts, le couchant ventre contre lit pour l’y attacher, le bâillonner, et faire plomber la lune sur son fessier d’une pâleur accablante pour le bon plaisir des yeux de la personne qui le trouvera le lendemain. Je ne tue peut-être pas, mais rien ne m’empêche de m’amuser un peu en ridiculisant le pauvre bougre qui, je l’espère, ne sera pas stupide au point de recommencer. Je le lui fais bien comprendre d’ailleurs, que ce n’est qu’un avertissement et que si prochaine fois il y a nous ne serons pas si cléments avec lui.

Puis, ceci fait et notre possession récupérée, je quitte par la fenêtre en m’assurant de ne pas me faire remarquer. J’avise rapidement mes hommes qui se passent le mot que le travail est fait, confiant le butin à l’un d’eux et en envoyant un autre donner le signal dans l’auberge sans réellement savoir qui est supposé le voir. Tout ce qu’ils savent c’est que nous avons un allié et c’est tout ce qu’ils avaient besoin de savoir. Je mine aussi avoir une autre piste à suivre avant de les laisser quitter avec la promesse que je ne tarderai pas de trop à les rejoindre dans les jours qui suivent, puis je m’installe au point de rendez-vous fixé à Khelan en espérant sans doute un peu trop qu’il viendra m’y retrouver.

Je ne vois personne. Je sais juste qu'après avoir séparé les quelques imbéciles au sang trop chaud et trop chargé d'alcool, une petite plume grise repose entre les chopes entamées des deux armoires à glace. Mon signal, m'informant que la tâche est accomplie. Que la cible est dépouillée et que je peux m'envoler. Dans le soucis de sauver les apparences, je reste à mon poste encore une petite heure, à servir ceux qui s'attardent dans la soirée. Certains s'amusent trop, d'autres évitent soigneusement de rentrer au risque de se trouver coincés avec leur épouse. Ou simplement piégés avec eux-mêmes, face à leur propre solitude et le silence crépitant d'une énième longue et froide nuit. Alors qu'un coup de feu secondaire commence tout doucement à se calmer, j'abandonne mon torchon derrière le comptoir et disparait par l'arrière de l'auberge, sans être vu. Les deux gardes du corps dormaient encore.

La nuit m'engloutit. Le froid s'invite contre ma peau, peu impressionné par le fin tissu qui tombe sur mes épaules. Le pas silencieux, le geste habile et précis, je retrouve mon chemin sans éveiller la moindre alarme. Lorsque j'émerge enfin de la pénombre, derrière les stands déserts de la place du marché, le regard posé sur Thrynn, je porte mon armure sang et noir. Ma cape de voyage ondule dans mon dos, mon sac pour la retenir. - Voilà une bonne chose de faite. - Inutile de lui expliquer que je m'en vais. Ma tenue en dit suffisamment long.

Je traverse la distance en un souffle, glisse ma main contre ses reins et l'attire contre moi. La lune elle-même semble éviter de nous regarder. Mes lèvres s'écrasent sur les siennes avec une douceur langoureuse. - Mission accomplie. J'assume que tout est réglé de ton côté. - Un sourire passe sur mes lèvres au souvenir de cette collaboration. Je n'aurais jamais véritablement cru que ça arriverait un jour, nos intérêts et objectifs habituellement si éloignés. - J'aurais déjà dû partir depuis longtemps. - M'excusé-je presque, mon regard brûlant la tranche de sa mâchoire, la pulpe de ses lèvres. Une langue gourmande glisse sur les miennes, combattant un instant le froid asséchant. - Dans mon domaine, rentrer en retard n'est jamais bon signe. Je ne voudrais pas les inquiéter plus que ça. - Mes frères et sœurs de la Confrérie. Ma main toujours pressée contre ses reins, mes yeux trouvent les siens malgré la pénombre. - J'ai hésité à disparaitre après l'auberge, mais t'imaginer seul ici à m'attendre... Disons que je ne suis pas à ce point sans cœur.