Books and curses. || ft. Effie

__–Oups, maman elle a claqué la langue contre son palais quand le monsieur il a dit que c’était pas important. Et en fait je crois que plus il parle moins elle aime bien ce qu’il dit… En même temps, pff, on risque rien hein ! Ma maman elle est trop forte. Puis je crois que le garçon il l’intéresse plus, parce que bah lui il sait qui elle est au moins ! Bon par contre je crois qu’il est pas très content. Pas très content du tout… Alors je lui prends sa main qu’il tend vers ma maman :
__–« C’est pas bien de montrer du doigt, hein… Puis tu sais, moi aussi j’ai perdu quelqu’un à la bataille de l’Anneau hein, y’a mon père qui y est mort… »
__–Puis ça me rend un peu triste quand j’y pense, même si c’était il y a très longtemps et j’étais trop jeune donc je l’ai jamais connu.
__–« Tu es bien jeune pour avoir des opinions politiques. Mais, ne t’en fais pas. »
__–Oui alors elle dit ça, mais elle a son visage de quand elle est très en colère mais elle fait tout pour qu’on le voie pas mais ça marche pas très bien et puis ça voix devient plus grave.
__–« La pire racaille de Tamriel supplierait ma pitié, je lui accorderai peut-être. Aucun thalmor ne peut en dire autant. Oui, j’ai survécu. Et je l’ai payé très cher. De toutes les raisons qui font que je me trouve au fond d’une cave sordide dans un village gelé et en ruines, la villégiature n’en fait pas partie. Comme je l’ai déjà dit… »
__–Elle soupire, mais elle a l’air moins en colère.
__–« Je pense que nous pourrions nous entraider. Vos craintes sur notre sécurité sont infondées, cher monsieur dont je n’ai pas encore saisi le nom. Si j’ai pu revenir entière de la plus effroyable bataille de notre âge, c’est que mon plus grand talent n’est pas la couture. »
__–Bon enfin elle dit ça mais elle m’a faite une super robe une fois !
__–« Vous-même êtes fort discret et loin d’être manchot avec une lame, je présume. Et nous avons là une petite personne qui connaît ces souterrains, de ce que j’ai pu comprendre. Nous compensons bienheureusement nos défauts respectifs. »
__–Ah, ma maman me fait signe de venir, mais moi j’veux rester avec le garçon, il a l’air gentil en vrai, puis elle insiste pas.
__–« Je suis disposée à vous décliner les raisons de ma présence ici, mais vous ne m’avez même pas informé de votre identité et je pressens que la seconde politesse que je m’apprêtais à vous faire n’aurait pas été rendue. La courtoisie légendaire des Nordiques, je suppose. »

Effie me fait un topo, l'air de rien, et j'avise la silhouette altière avec d'autant plus de méfiance. Le Thalmor sont une véritable peste. Peu importe de ce que l'on pense de ce jeu politique et guerre civile entre les Sombrages et les Impériaux, peu importe ce que moi j'en pense, cette caste d'elfe se pense si supérieur qu'ils ont oublie saigner. Comme tout le monde. Pourtant, la façon dont elle qualifie son propre groupe tranche avec cette loyauté sans faille que les autres peuvent dégueuler à la moindre occasion. J'ai appris à repérer les robes grises de ces arrogants à des lieux à la ronde. Elle en empeste encore le parfum, mais quelque chose diffère. Une distance. L'odeur dans le tissu, étouffée par plusieurs lavages mais sans être renouvelée. Ou tout simplement étouffée par une vie de route et d'isolement.

Je m'appelle Ulfric Sombrage. - Dis-je avec aplomb, fatigué de ces questions identitaires. - Je m'appelle Titus Mede. - Le Jarl de Vendeaume. L'empereur de Tamriel. Des personnalités célèbres de notre époque, dont les noms n'ont aucune importance. - Peut-être que vous êtes qui vous dites être. Peut-être que je serai qui je dirai être. La vérité c'est que rien n'est sûr, et qu'il y a plus de chance que vous ne sachiez pas qui je suis, tout comme je n'ai aucune idée de qui vous êtes. - Les vieilles habitudes ont la vie dure. Je suis une ombre, je l'ai toujours été. Je suis l'enfant de deux cultures qui m'ont renié. Je suis né une ombre, et ça n'a jamais cessé. - À ce stade de la conversation, les noms n'ont aucune importance. La raison de votre intrusion, oui, parce qu'elle nous indiquera si vous êtes fiable ou non. Mentir sur un nom est facile, là où raconter une histoire permet de percevoir plus de failles.

Elle propose une entraide sans savoir qui nous sommes ni ce que nous faisons ici. Sans énoncer ses propres motivations pour cette intrusion. Elle propose l'entraide à des étrangers sans but ni objectif. Pourquoi ? Surtout après avoir menacé de nous tuer simplement parce que nous nous tenions là. S'il s'était agit des mages de l'académie, et s'ils avaient défendu leur territoire, les aurait-elle tué sans rater un battement ? La seule raison pour laquelle j'entretiens cette conversation, c'est parce qu'il ne m'appartient pas de défendre ces terres. Je ne suis pas un mage de l'académie. J'ai bien plus urgent à régler, sous la forme d'une entité transplanaire encore méconnue, et cette conversation tourne trop en rond pour ma patience. - Comme l'a justement dit mon acolyte, nous sommes parfaitement dans nos droits ici. Nous ne vous devons aucune information ou explication. Vous, en revanche...

__–Il est un peu taquin quand-même, le monsieur.
__–« Qu’il en soit ainsi. Je n’en avais besoin qu’à titre de convention, pour vous appeler autrement que “le Nordique”. Votre fils est plus raisonnable. »
__–Maman réfléchit un peu. Je crois qu’elle veut bien lui raconter pourquoi on est là (puis comme ça, je le saurai moi aussi !), mais bon ça m’intéresse pas trop puis y’a Effie qui propose de lui montrer sa chambre. Parce qu’il dort ici ?? Mais c’est tout moche et sombre et avec plein de monstres ! Bon enfin, il fait faire des invocations, (puis ça me fait pas peur parce que j’ai l’habitude, ma maman elle avait plein d’amis mages et elle-même elle sait en faire un peu) mais quand-même.
__–« D’accord je te suis ! Mais pas trop loin hein. »
__–Ah, puis il s’arrête. Il ce passe quoi ? Oooooh.
__–« Ah bon y’a des trolls ?? Mais tu vas pas les combattre avec ce truc ? C’est un jouet ! Il faut demander aux adultes. Enfin, surtout à ma mère en fait. »
__–Bon enfin je m’éloigne pas du loup parce que Effie il a raison ma peut être dangereux (même si je crois pas qu’un loup pourra me protéger contre des trolls) et je me tourne vers ma maman… ah ben qui a entendu t’façons et qui s’approche.
__–« Mes excuses Ulfric, nous reprendrons cette conversation plus tard. Les enfants, mettez-vous derrière moi et ne regardez pas, s’il vous plaît. »
__–Ooooh les jolies flammes ! Ma maman elle fait toujours les plus belles. Elle apparaissent d’abord toute petites dans ses deux mains, puis elles deviennent plus grosses et plus lumineuses, tellement qu’on a plus besoin de nos lampes ! Elle se met juste devant l’entrée du couloir et waaah y’a les gros trolls, je les vois ! J’ai un grand sourire, parce que c’est trop bien de voir maman utiliser sa magie. Alors elle tend les bras et y’a une énoooooorme flamme qui sort et qui envahit tout le tunnel ! Il faut chaud tout d’un coup, mais c’est agréable parce que il fait super froid dans ces tunnels. Puis ça dure encore quelques instants et elle l’arrête. Les trolls ils paniquent, parce qu’ils aiment pas du tout ça le feu ! Mais je crois qu’ils sont surtout énervés en fait. Alors y’en a un qui avance vers nous ! Ouah il est méga gros !! C’est sûrement une maman. Mais la mienne elle génère un éclair et zap ! Elle le foudroie. Ça lui fait comme un gros trou calciné dans le ventre et il tombe avec un grognement un peu faible à quelques pas de nous. Puis après ben y’a plus que les petits, mais j’crois y’en a un qui est déjà mort. Et  Y’a son frère qui se roule par terre pour éteindre les flammes et qui se tape dessus, puis ça pue les poils et la viande brûlés. Berk ! Mais je tape dans mes mains et je dis « Bravooo ! » parce que c’était super bien fait et j’ai même pas eu peur.
__–« Achèverai-je le dernier ? »

Aucune réaction, pas le moindre rictus. Je ne la corrige même pas quand elle qualifie Effie d'être mon fils, non pas pour perpétrer un mensonge, mais parce que je m'en fiche royalement. Mon attention est ailleurs, accaparée par ce bourdonnement dans mon esprit. Il n'était que discret, depuis l'apparition des deux elfes, mais est graduellement devenu plus assourdissant à mesure que nous parlons. Si bien que lorsque Effie mentionne entendre les trolls, et que Lingriel, si c'est bien son nom, conclut notre conversation, j'ai déjà disparu. Il ne reste là où je me trouvais que quelques volutes d'ombres qui retombent au sol comme de la poussière de charbon.

Effie s'arme, se positionne. Elle protège la gamine et ça ne me surprend guère. Le pas si silencieux qu'il ne soulève pas la moindre poussière, je m'engouffre dans le couloir. Le bourdonnement à l'intérieur de mon crâne s'intensifie. Azura hurle un danger que je sais déjà présent. Une lueur orangée éclaire mes pas, révèle les contours des trois énormes silhouettes. J'aperçois les flammes du coin de l'œil, serre les dents, cours. Les bottes absorbent le son. Mon agilité fait le reste. Un bond. Je prends appuie sur l'un des murs, m'élève un peu plus haut et plutôt que de me prendre le plafond, poursuis une trajectoire en arc de cercle presque plat. Mon dos longe la voute de pierre. Les flammes lèchent ma peau sans la brûler. J'atterris en une roulade contrôlée avant de me redresser pour voir les flammes rouler et disparaitre, comme si les ombres elles-mêmes venaient les dévorer. Un troll plus grand que deux autres. Une mère, probablement, et ses deux petits. Petits qui, malgré leur âge supposé, demeurent une menace parfaitement respectable.

L'un des petits se met à se rouler au sol en grognant pendant qu'une lumière bleutée craquelle contre les murs. Le bruit de la foudre. J'ai tout juste le temps de pivoter sur le côté pour laisser traverser l'éclair à travers le grand troll, plaie béante, fumante, au traverse de laquelle je peux apercevoir les elfes et Effie. Et le second de ses petits qui a reçu une partie de l'éclair, planqué derrière sa mère. Son corps tout entier est fumant. Immobile. - Achèverai-je le dernier ? - Inutile. - Les flammes qui continuaient de le torturer sont comme soufflées alors que je me manifeste au-dessus de lui et qu'elles viennent se réunir dans ma main, qui se referme sur elle. Je connais peu de magie, mais je sais au moins faire ça. Ma lame a tôt fait de s'enfoncer dans son torse, traverser avec netteté et précision son cœur. Un souffle opaque s'échappe de sa gueule. Son énorme main s'agrippe à ma cheville sans parvenir à causer le moindre dégât. Le bourdonnement dans mon esprit, pour le moment, retourne à une douce vibration prudente. Rien d'imminent, mais si ce n'est pas au sujet de Lingriel, rien de sûr encore, Azura continue de m'alerter que ces lieux ne sont pas sûrs. - On devrait s'éloigner d'ici. Le bruit risque d'attirer d'autres saloperies.

__–Ouuuah le monsieur il était là et maintenant il est là ! C’est possible ça de se téléporter ??? Pff bah nan ce serait de la magie et ma maman elle saurait le faire mais elle le fait pas donc c’est pas possible. Et oh tiens, y’a Effie qui utilise une pierre-esprit. Je le regarde faire parce que en vrai je trouve ça trop joli les pierres-esprits ! Bon puis comme y’a plus de danger, il révoque son chien, du coup je dis « Au revoir le chien ! » et il va vers l’endroit qu’elle voulait me montrer alors je la suis. Mais en fait on arrive dans une grande pièce avec plein de bougies et un truc trop bizarre au centre qui a l’air magique et tout !
__–« C’est quoiiii ça ?
__–– C’est une forge à atronachs. Elle permet d’en créer à partir de quelques éléments. Nous en avions fait tourner plusieurs dizaines sans discontinuer, de jour comme de nuit, pendant la guerre. Elles avalaient des fortunes en pierres précieuses et ingrédients alchimiques rares. Je me souviens d’une opération derrière les lignes ennemies, qui visait à s’emparer de celles de l’Empire. Elle avait été un demi-échec et toutes furent détruites par nos agents. Le commandant de l’opération fut exécuté pour cette faute.
__–– Mais c’est trop pas gentil !
__–– Non, en effet. Ce sont les épaules du son supérieur, qui avait sottement ordonné l’opération, qu’il aurait fallu libérer du fardeau de sa tête. »
__–Oh, elle son expression de quand elle parle de la Grande Guerre et elle a pas envie d’en parler plus parce que ça lui fait mal. C’est tout le temps comme ça aussi quand elle parle de papa. Heureusement que y’a Effie qui pose une question pour détourner l’attention !
__–« Alors en fait, on cherche un ancien camarade de ma maman qui a été envoyé en mission à Fordhiver ! Il paraît qu’il est super important ! C’est un Thalmor qui s’appelle Ancano. Mais on veut que ce soit une surprise ! Ça lui fera sûrement super plaisir. »
__–Bon après ma maman elle fait sa tête qui fait peur de quand elle va tuer quelqu’un, mais si ça ce trouve ça a rien à voir.
__–« D’où notre passage par les sous-sols. Voyez cela comme une reconnaissance en vue de connaître le terrain et de ménager des options de repli. »
__–Puis là je me rends compte d’un truc.
__–« Hé mais attends !! T’as été un élève ici !? Ouah mais t’es méga méga jeune pourtant ! Comment ça ce fait ? »

Les barrières sont plus malléables ici. Les profs en avaient marre des alertes à chaque fois qu'quelqu'un s'entraînait avec le conjurateur, y paraît. - Les "y paraît" d'Effie, je commence à en avoir l'habitude. Il doit y avoir une ancienne histoire de famille derrière tout ça. L'avantage, c'est que je peux faire confiance à l'origine de ces histoires. Et d'un autre côté, peut-être qu'elle imagine tous ces souvenirs, qui sait. Le problème avec la confiance, c'est qu'elle ne peut pas exister sans un peu de foi. Silencieux, essuyant la lame de ma dague pour en chasser les traces de sang de troll, le nez irrité par l'odeur de fumée et de chair carbonisée, je laisse passer Lingriel et ferme la marche.

Le cercle d'invocation des atronachs a quelque chose d'intemporel, ses bougies éternellement allumées, jamais à cours de cire. C'est la première fois que je vois cet endroit et je peux déduire ces détails par simple instinct. Effie s'installe comme si elle était chez elle, parce que d'une certaine manière c'est le cas, et relance nos questionnements. Ancano est un nom qui ne m'évoque pas le moindre souvenir, sinon la mention d'Effie un peu plus tôt, mais si c'est un membre de l'Académie, ça n'a rien de surprenant. Amadeus aurait certainement comblé ces informations pour moi. Ou Jo'Raska, s'il était descendu avec nous. Je dois m'en remettre à Effie pour savoir de qui l'enfant parle. Pendant ce temps, je laisse mes pas longer le cercle de bougie, observe les runes et l'installation étrange, comme toute installation arcanique. Observer les alentours, m'assurer qu'il n'y a pas d'autres menaces ici, garder un œil sur les deux elfes se faisant. Et lorsque l'enfant balance ses questions sur l'âge d'Effie, un discret soupir m'échappe.- On est pas là pour ça... - Soufflé-je dans un murmure que seules les oreilles d'une vampire pourraient percevoir.

J'ai beau savoir qu'on a littéralement toute la nuit pour interroger l'augure, qui ou quoi qu'il soit, cette conversation avec ces inconnues risque d'agrandir des failles que j'aimerais être seul à connaitre pour le moment. Même impliquer Effie m'a demandé un certain temps, et je déteste encore l'idée de l'entrainer dans ces dangers, quand bien même je la sais parfaitement capable. La gamine a l'air de croire à une bête surprise d'ancien collègue mais le ton et les mots employés par l'adulte m'indiquent plutôt une conversation houleuse, potentiellement violente. Nous n'avons pas besoin de plus de problèmes à nos chevilles. À mes chevilles. Déjà bien assez de poids écrase mes épaules. Au moins, peut-être que l'ouïe fantastique d'Effie pourra déceler le moindre mensonge dans les battements cardiaques de l'elfe. D'ici là, je préfère me faire silencieux et attentif. Mon état de confort.

__–« Aaaaah d’accooooord. Oh bah je suis désolée pour ton frère hein ! »
__–Puis chouette, il sait lire ! C’est pas facile des fois de se faire des copains avec les enfants humains parce que bah par là où on est passés ma maman et moi, ben y’avait que des paysans ou des roturiers incultes de villages perdus en bois et en paille, donc forcément bah c’était trop la civilisation quoi, puis c’est pas suuuper facile de se faire des amis quand ce qu’on aime le plus c’est lire et que eux ils savent pas. Mais bon c’est pas grave parce que on est jamais resté que quelques nuits au même endroit depuis qu’on est parties d’Alinor.
__–« C’est une bonne idée. Tu es bien astucieux pour ton âge. Je te demanderai, par contre, de ne pas calomnier notre hôte, déjà que nous allons l’importuner avec nos requêtes, la moindre des choses serait de le faire avec déférence. »
__–Oh puis les bougies elles brillent un peu plus fort ! Ah bah je comprends pourquoi ma maman elle a dit des compliments, parce que ça lui arrive jamais d’être gentille avec les gens comme ça. C’est sûrement « politique », comme elle dit.
__–Pis elle me fait un signe pour que je vienne lui prendre la main, alors je le fais.
__–« Nous sommes prêtes. Effilys, mon garçon, comme vous connaissez le mieux cet endroit, nous vous suivons. Belle maîtrise du sort de capture d’âme, d’ailleurs. J’essaierai de te laisser le temps de le refaire, si nous devions nous retrouver face à de tels ennemis. »
__–Pis ma maman se tourne vers le monsieur qui dit rien :
__–« J’imagine que vous préférez fermer la marche ? »

Reste l’augure. Il a participé aux protections de l’Académie, il parait. - Objectif commun, voilà qui règle la question. Et aussitôt leur requête posée, elles pourront aller de leur côté et nous du notre. Si leur intrusion ne dérange pas Effie, je me contrefiche pas mal de ce que deviendra cet Ancano. Les lumières fluctuent et je lève le nez vers les flammes bleues éthérées. Elles demeuraient stables depuis tout ce temps. La vibration dans mon esprit, elle, ne change pas d'un sursaut. Aussi, je ne m'inquiète pas plus que ça. Lingriel commente plus ouvertement sur cette réaction de notre environnement, une logique qui ne m'avait pas frappé jusqu'à présent. Si l'augure peut nous observer à travers la distance, il sait que nous sommes là, il sait pourquoi nous sommes là. Peut-il influencer sur ces corridors en ruine ? Une seule façon de le savoir. - J’imagine que vous préférez fermer la marche ? - Habituellement, je l'ouvre, mais aujourd'hui je surveillerai nos arrières. - Réponds-je d'un hochement de tête. Quand bien même mon expertise se trouve en l'exploration, la discrétion, l'évitement des pièges et embuscades, je ne connais pas le chemin. Effie, oui. Mais peut-être aussi que, habituellement, j'ouvre et ferme la marche seul. Fonctionner en groupe est une nouveauté pour moi, ou tout du moins une mécanique trop rarement mise en place dans mon quotidien. Et puis, je préfère autant garder un œil sur l'elfe et protéger les arrières de la vampire dans la foulée.

Alors j'indique à Effie que je suis prêt à partir. L'un des couteaux de lancer vient danser entre mes doigts, la lame obscurcie par une fine couche de peinture, comme un voile. Mes pas taisent le moindre son au point peut-être d'oublier ma simple présence. Entre deux lanternes, mon image fluctue un peu comme si les ombres prenaient le dessus. Je me rends attentif aux inspirations de ces lieux. Le froid ambiant et stagnant joue sur mes lèvres, mais je ne le ressens pas vraiment. Sang nordique en action, caché sous les atours du sud. Je me fais tout autant attentif aux vibrations d'Azura. Si une menace approche que mes sens ne discernent pas, elle saura m'avertir. Certains penseraient que la mort de trois trolls libèrerait notre route, mais ceux-là n'ont jamais foutu les pieds dans sur le moindre sentier de Bordeciel, et encore moins ses cavernes. Les ruines d'une académie de magie sont loin de faire exception, j'en suis certain. Peut-être même que des trolls ne sont pas le pire que l'on pourrait rencontrer.